RESEAU

samedi 31 mai 2014

Une maison dans le Verdon?


C'est au premier Salon du livre du Verdon à Aups dans le var.
Merci à Jean Darrot pour l'invitation et à Antoine et Dominique Faure pour l'accueil.

42

Ici chacun sait
Ce qu'il veut ce qu'il fait
Quand il passe
Ami si tu tombes
Un ami sors de l'ombre
Prend ta place
Demain du sang noir
Coulera au grand soleil
Sur les routes
Sifflez compagnons
Dans la nuit la liberté
Nous écoute.

Le chant des partisans

La pluie

A contre courant,
La pluie prends son temps.
Elle compte ses gouttes,
Peut-être qu'elle les goûte ?
Elles doivent être sucrées,
C'est une pluie d'été.

Agnès Cantais
Les rayures de mon ange
Ed. Du Buech, 2013

A paraître
Signature librairie Route du sud Laragne-monteglin
Le jeudi 5 juin de 10h a midi.

14/18

Quand le soir vient
Notre jeunesse se souvient
Et va et vole, oiseau sans nid
En quête des tendresses mortes

Lucien Jacques
Carnet de Moleskine

" C'est Secret "

Ça y est, Ma Mother (MM) s'est encore barrée AVEC son téléphone. Une heure que je trépigne. En plus, il pleut, je vois vraiment pas ce qu'elle peut faire dehors. Elle sait bien, pourtant, que j'ai plus de crédit et que J'AI TERRIBLEMENT BESOIN de téléphoner.
Je lui envoie un SMS désespéré (ça, Orange veut bien) :
« Maman, T où ? »
Elle me répond, « pour de vrai ». Elle sait pas gérer les courses ET les textos :
« Je suis à Casino...
- T'arrives dans combien de temps ?
- Je sais pas, quinze, vingt minutes... Je t'ai acheté des glaces...
- Bisous, Maman, je t'aime ! »

C'est vital, je dois appeler « C'est Secret ».
Ça fait soixante minutes que je lui ai pas parlé. Trois-mille-six-cents secondes.
Deux-mille-cinq-cents messages en une semaine. J'ai les pouces qui chauffent. J'ai une crampe dans le bras. Je vais descendre du lit et aller sur le canapé. J'en profite, MM n'est pas là pour me dire que je change de pâturage.

Moi, je m'appelle Maya. Je suis pas une abeille, je suis une déesse grecque.
Au moins sur internet.
En vrai, je me trouve moche comme l'univers. J'ai des cheveux roux et frisés, on dirait un caniche qui n'a pas vu le toilettage depuis dix ans. Des fois, pour rigoler, MM me fait des couettes. Je trouve pas ça drôle, je ressemble à Candy déguisée en Petshop.
MM me dit que je suis magnifique.
Y a qu'elle et « C'est Secret » pour être d'accord.
« C'est Secret », y m'a mis sur son fond de tête et sur son fond d'écran.
(On avait fait des photos avec MM, je lui avais raconté que c'était pour une copine).
Je lui avais envoyé aussi celles prises par Mon Father aux dernières vacances.
Mon Father, c'est particulier.
Il est fan de moi, mais avec lui je sais JAMAIS si j'ai VRAIMENT une tronche super ou alors JUSTE une tronche géniale pour les caricatures. Mon Father est caricaturiste : dès que je débarque du train pour aller le voir ( il habite sur la Côte), il sort ses crayons.
Mon Father, c'est un artiste.

Ma Mother, elle, elle écrit. Vingt-quatre vingt-quatre.
L'autre soir, il était dix heures ( quand même), je lui demande :
« Maman, c'est quand qu'on mange.... Maman, c'est quoi qu'on mange ?
- Oh, je suis désolée mon amour, qu'est-ce que tu voudrais ?
- De la tarte au thon et aux tomates, avec plein de gruyère et de mozza ! »
Elle m'a fait ma tarte. On l'a mangée de nuit, bouillante et crémeuse.
MM, c'est la meilleure cuisinière du monde. Et dans la journée, elle doit revenir sur terre parce qu'il y a toujours dans le frigo de quoi préparer des trucs délicieux.

Ça fait un mois que je connais « C'est Secret ».
Je l'ai rencontré sur Facebook." Mes amis qui aiment les mêmes choses que moi". J'avais mon pseudo de mec, MDR, parce que je regardais des « Yaoi ». ( Vous chercherez sur internet ce que ça veut dire, mais, pour vous donner une idée, MM veut ABSOLUMENT que je lise Colette. Y paraît que c'était déjà pareil avant).
Moi, je crois pas, pourtant j'ai dit :
« Peut-être... Un jour... »
Je suis une Otaku, une furieuse des mangas. D'ailleurs, à force de regarder les Animes en VOST, je commence à parler japonais.
Dans un an, quand je serai en seconde, j'apprendrai pour de vrai. Je veux devenir traductrice.
En attendant, avec « C'est Secret », on parle de Shônen ( des trucs de vampires et de samouraïs), de Seinen ( pareil, mais ça fait plus peur ), de Shôjo, de Josei ( des histoires de filles)...
« C'est Secret », lui, il aimerait bien s'entretenir de Hentai avec moi, mais JE VEUX PAS. (Vous devinez pourquoi).

Grande Nouvelle : j'ai parlé SERIEUSEMENT de « C'est Secret » à MM.
En fait, elle me posait des questions sur ma life depuis un moment.
« A qui tu téléphones ?... Quel âge il a ?... Il est au collège ?... Où il habite ?... C'est pas un pépé pervers au moins ?... »
Pour la rassurer, j'avais inventé un autre « C'est Secret » qui s'appelait Nicolas.
Ça a marché un temps, au moins pour qu'elle me prête son portable.
Et puis ce midi, elle m'a dit :
« Il a pas quinze ans, Nicolas, il en a seize. Et il est pas au collège. Et puis d'abord, il s'appelle pas Nicolas !
- Comment tu le sais ?
- les HLM sont mal insonorisés... »

Je soupçonne MM d'avoir retiré ses chaussures pour aller sans bruit écouter aux portes.
Mais je lui ai rien dit parce qu'elle m'a proposé d'inviter « C'est Secret » à la maison.
Je lui ai dit que ça serait dur, vu qu'il habite à huit-cents kilomètres de chez nous.
Elle m'a dit qu'il " fallait réfléchir à la chose..."
Elle a voulu voir une photo de lui : elle l'a trouvé super beau.
Plus tard, elle est venue me voir dans ma chambre, (j'étais en grande conversation) et m'a timidement demandé si elle pouvait dire deux mots à « C'est Secret », rapport à l'invitation.
Je lui ai tendu SON téléphone, qui devait avoisiner les cinquante-cinq degrés.
Ils ont rigolé. C'est cool.
Du coup, on va essayer de profiter du retour de nos vacances à Paris, en juillet, pour ramener « C'est Secret » avec nous à la maison.
Faut qu'on trouve un argumentaire béton pour convaincre ses parents.
Dire qu'on aura DEUX CHAMBRES par exemple.
Huit-cents kilomètres en train pour huit ?...dix jours ?...
MM m'a dit que les chiottes du TGV, c'était pas super sexy pour un premier bisou.
Quand j'ai demandé à MM, si, avec "C'est Secret", on pourrait prendre un bain ensemble, elle m'a répondu :
« Pas de problème, mais habillés et vous tremperez les pieds ! »


Publié avec l'accord des intéressés.



vendredi 30 mai 2014

Pierre Autin-Grenier par le cyclope Edie WikiPedia


Pierre Autin-Grenier est né à Lyon le 04 /04/1948. Auteur de poèmes en prose, de récits,
nouvelles et textes courts d'autofiction, il partage son temps entre sa ville natale et le
Vaucluse où il habite.

Il est devenu, au fil d'une oeuvre à multiples facettes, un adepte reconnu de la forme
brève - de quelques lignes à quelques pages- à l'écriture travaillée.

Il fut employé de banque et d'assurance. Engagé politiquement, il a vécu les événements
de mai 68 sur les barricades. Ne supportant pas la hiérarchie, il décide d'arrêter tout travail
pour se consacrer à l'écriture. De livres en livres, il s'est construit une voix bien à lui où
la révolte reste active.

On rit franchement à la lecture des textes de Pierre Autin-Grenier, mais la rage de vivre
pointe souvent derrière l'auto-dérision et la joyeuse gouaille avec lesquelles il aborde le quotidien le plus banal.

Bibliographie
Chez Gallimard
– Je ne suis pas un héros, L'Arpenteur/Gallimard 1993 et folio 2002
– Toute une vie bien ratée, L'Arpenteur/Gallimard 1997 et folio 1999
– L'éternité est inutile, L'arpenteur /Gallimard 2002
– Les radis bleus, L'arpenteur /Gallimard, 2007
– Friterie-bar Brunetti, L'Arpenteur/Gallimard, 2005
Chez d'autres éditeurs
– Jours anciens 1980,
– L'arbre éditeur (02370 Aizy-Jouy), 2003 (réédition augmentée)
– Histoires secrètes (réédition), La Dragonne 2000
– Chronique des faits, L'arbre éditeur (02370 Aizy-Jouy), 1992
– Légende de Zakhor, L'arbre à paroles 1996 (réédition) éditions en forêt / Verlag Im Wald Rimbach
– 13, Quai de la Pécheresse, 69000 Lyon, (roman collectif), Éditions du Ricochet 1999
– Là-haut, nouvelle, 2005, Éditions du Chemin de fer, accompagnée de 14 peintures de Ronan Barrot.
– Un cri, nouvelle, 2006, Cadex Éditions. Préface de Dominique Fabre, illustrations de Laurent
   Dierick, prix Léo-Ferré 2007 de la ville de Grigny.
– C'est tous les jours comme, éditions Finitude, 2010
– Elodie Cordou, la disparition, éditions du Chemin de Fer, 2010

"Aujourd’hui, alors que je pédale dans le noir vers mon potage au vermicelle et aussi un avenir incertain, comment ne pas flageoler un peu du mollet à l’idée que, malgré le grand nombre de neurones qui m’habitent et un cerveau complexe, je ne représente pas le but suprême de l’évolution mais plus prosaïquement un accident cosmique monté sur un vélo et dont l’anatomie n’a pas changé depuis Lascaux !" ("Le cri inutile de la crevette") 
L'éternité est inutile 
  
Samedi 18 juin.
Sainte Léonce
Ainsi, parfois, est-il nécessaire d’empoigner résolument la brouette verte, la charger à ras bord d’énorme blocs de pierre, puis pousser, comme ça, sans but des heures durant autour de la maison, jusqu’à se persuader enfin que, lourdement, le monde quand même existe.
Les radis bleus

Vraiment, le petit poète blanc aurait préféré être un grand nègre et cabrioler aux trois quarts nu de traboules en savanes dans l'intimité des zébus et la frayeur des éléphants, plutôt que d'être né de cet Occident moqueur et roturier qui compte et recompte ses privilèges dans l'arrière-salle d'une boutique depuis longtemps naufragée. Alors parfois, je lui dis comme ça : "Est-ce que tu aurais épousé un nègre ?... ---Oui, elle répond sans hésiter, si c'était toi."
Toute une vie bien ratée

« S’évader en rêve, la nuit, entre les rayures de son pyjama va-t-il bientôt devenir la seule échappatoire possible à ce cauchemar ou allons-nous enfin nous réveiller et passer à l’action ? »
C'est tous les jours comme ça

L'Epicerie Littéraire



A l'origine
-Rions de Soleil, une association dite “militante”, “engagée”, qui se revendique “d'utilité publique” et compte aujourd'hui 350 adhérents.
-Gros Textes, une maison d'édition spécialisée en poésie.
Points communs entre ces deux structures :
- leur fondateur, Yves Artuffel,
- leur lieu de résidence, Châteauroux- les-Alpes (Hautes-Alpes),
- une librairie-bouquinerie, l'Épicerie Littéraire.
En 2008, l'association et les éditions ont transformé leur local en Épicerie Littéraire, une bouquinerie où sont proposés des livres d'occasion soigneusement sélectionnés

L'épicerie littéraire
Poésie, romans, livres jeunesse, beaux-livres… tous les genres y sont représentés, et les prix varient entre 3 et 8 euros. Acquis grâce aux collaborations tissées avec Emaüs et le Secours populaire, ce fonds est complété par des dons de particuliers.
Les ouvrages non retenus par l'Épicerie sont confiés à la médiathèque de Châteauroux-les- Alpes qui, après avoir opéré sa propre sélection, transfère les livres restant à Emaüs ou au Secours populaire. La boucle est bouclée !
A la fois local de l'association Rions de Soleil et des éditions Gros Textes, l'Epicerie est une bouquinerie où sont proposés à la vente environ 5000 ouvrages d’occasion : Romans, poésie, polars, albums pour les petits, documentaires,théâtre, livres d'art et de peinture....
Vous pourrez aussi retrouver à l'Epicerie : Vin, Miel, Farine et Ballotine de truite... des producteurs locaux, puisque ce lieu s'inscrit dans un territoire donné et se veut en relation avec les acteurs économiques de ce territoire.

L'épicerie littéraire, c'est aussi
- Un lieu où l'on défend l'idée que le livre n'est pas une marchandise comme les autres et que sa diffusion suppose la sauvegarde et la diversité territoriales des points de vente et des possibilités d'accès au livre de populations isolées.
- Un lieu où l'on ne diffuse pas ce dont tout le monde parle en même temps et dont un système médiatique voudrait nous gaver. Mais plutôt des objets rares, décalés, parfois sauvés du pilon et de l'oubli, délicats et si possible bon marché.
- Un lieu où l'on peut discuter, échanger, marchander, créer, débattre.
- Un lieu où, à côté de quelques milliers de livres d'occasion, sont mis en avant les ouvrages de quelques éditeurs amis.
- Un lieu qui conçoit " la vente d'ouvrages comme une contribution à la diffusion des idées, à l'émancipation sociale et individuelle, à l'éducation populaire et à la démocratie. ", lieu de luttes et de résistances à l'industrie culturelle et ses autoroutes.
- Un lieu où des animations (lectures, débats, conférences, ateliers, concerts…), programmées ou improvisées, surgissent.

L'épicerie littéraire vous accueille
Le mardi de 9h à 12h et de 14h à 18h30
Le mercredi et jeudi, de 9h30 à 12h30 et de 13h30à 18h30
Le vendredi de 9h30 à 12h30 et de 13h à 18h
Ouverture fréquente, mais aléatoire le week-end,
Un petit coup de fil pour s'en assurer !

Contact
Bureau de l'association:
l'Epicerie Littéraire
Place de la mairie 05 380 Châteauroux les Alpes
04 92 49 65 31
06 71 04 29 54

La Ruelle

 


Librairie la ruelle
Créée en 1982 par Anne Duval et Anne-Marie Guigou, la Ruelle a déménagé deux fois avant de s’installer définitivement sur la place du Général de Gaulle. Reprise en juin 2010 par Marlène Deneuve, elle bénéficie maintenant d’un grand espace de vente tout en profondeur.
Sa superficie de vente est d'environ 150 m², c'est une librairie générale qui privilégie la littérature française et étrangère, la littérature de jeunesse et la bande dessinée mais les rayons nature, beaux-arts, régionalisme
lorsqu'un ouvrage n'est pas disponible il est très facile de le commander..
Le côté brut et hétéroclite de cette librairie n’est pas sans charme. Il faut être curieux, pour atteindre un rayon jeunesse très dense où chaque lecteur audacieux pourra trouver de quoi satisfaire sa curiosité.
Marlène Deneuve est une passionnée de littérature ; elle met donc en avant ses préférences comme ses coups de cœur. Le fonds livre de poche est particulièrement étoffé, ainsi que la collection de Pléiades. L’amateur de grands classiques sera comblé ; les nouveautés ne sont cependant pas en reste et sont largement disposées sur des tables dans toute la librairie.
La Ruelle propose aussi un intéressant rayon de bandes dessinées et pour les amoureux de nature, des guides et des cartes accompagnent un bon choix de livres spécialisés.
Bien implantée dans le paysage culturel Dignois, La Ruelle est présente au côté de la bibliothèque, des écoles, et du milieu associatif local. Elle participe chaque année aux rencontres cinématographiques de Digne ainsi qu’au festival Inventerre consacré au patrimoine naturel de la région.

horaires
le lundi de 14h à 19h, du mardi au samedi de 9h à 12h30 et de 13h30h à 19h

Contact
Librairie La Ruelle
Marlène Deneuve
18, place du Général de Gaulle, 04000 Digne

T: 04 92 31 50 19 F: 04 92 32 38 93
laruelle04@wanadoo.fr



Hubert Mingarelli, un silencieux au bout du stylo


Petit fils d’émigrés italiens, Hubert Mingarelli est né en 1956 en Lorraine. A dix-sept ans, il quitte l’école. Deux alternatives s’offrent alors à lui : la sidérurgie ou l’armée. Il choisit la seconde, et s’engage pour trois ans dans la marine nationale. Il passera trois ans sur l’eau, élément si présent dans ses livres, de même que les voyages, la solitude, la guerre. Il y fera des expériences qui seront pour beaucoup à la source de ses récits.
Lorsqu’il s’est engagé volontaire dans la Marine française Hubert Mingarelli dit avoir " pris cette décision en toute connaissance de cause. Je savais que j’y partais pour ça. Embarqué, j’ai découvert la vie et la discipline militaires et je me suis rendu compte que je les supportais mal." 

Puis il revient en France et s’installe près de Grenoble, dans un hameau de montagne. A partir de ce jour, il sait qu’il veut raconter des histoires. Il ne sait pas encore comment. C’est d’abord le dessin et la peinture qui sont ses outils d’expression. Un jour, à Paris, il montre son travail avec l’espoir de décrocher une commande. Sous les images, il avait écrit quelques légendes. Ses dessins passent inaperçu, mais on lui commande un texte…

Il n’a plus arrêté d’écrire depuis.



Sans doute en raison de la simplicité de son écriture et du fait que son personnage principal est souvent un enfant, il est généralement classé comme un auteur jeunesse. Il s'en défend car il souhaite écrire pour tout le monde.
L’écriture d’Hubert Mingarelli a pour mérite de signifier beaucoup en peu de mots. Il est expert dans la peinture de caractères en milieu fermé.Nous y rencontrons deux ou trois personnages, rarement plus, qui vivent et agissent comme ils doivent le faire, dans un paysage épuré par la neige, le sable, la chaleur écrasante ou l’océan.
Ce sont des hommes malmenés par la vie, qui ne se résignent pas, qui font face, déterminés à continuer en gardant leur dignité. Leur vie est faite de solitude, de rêves brisés, mais aussi de moments de solidarité, d’amitié profonde, de partage, de compassion qu’on attrape au vol, d’humour intime...
Les femmes sont relativement absentes de ses romans et nouvelles. Il s'intéresse plus volontiers au rapport père-fils que ce soit dans Une rivière verte et silencieuse (1999), La Dernière Neige (2000) ou encore dans La Beauté des loutres (2002). Dans Quatre Soldats (2003), il évoque l'amitié de ces quatre hommes dont un est à peine sorti de l'adolescence. Les trois nouvelles de son recueil Océan Pacifique (2006) racontent la vie de matelot qu'il a lui même vécue. Cet ouvrage lui vaut le Prix Livre & Mer Henri-Queffélec au Festival Livre & Mer - Concarneau 2007.

« Quatre soldats » a reçu le Prix Médicis en 2003.

Le 31e prix Louis Guilloux a été remis le 11 avril 2014 à Saint-Brieuc à Hubert Mingarelli pour son dernier roman, "L'homme qui avait soif", publié chez Stock

Bibliographie

Le Secret du funambule, MilanEC, 1992. Le Bruit du vent, Gallimard Page blanche, 1991.
La Lumière volée, Gallimard Page noir, 1993.
Le Jour de la cavalerie, Le Seuil, 1995.
L'Arbre, Le Seuil, 1996.
Une rivière verte et silencieuse, Le Seuil, 1999.
La Dernière Neige, Le Seuil, 2000.
La Beauté des loutres, Le Seuil, 2002.
Quatre Soldats, Le Seuil, 2003. (Prix Médicis)
Hommes sans mère, Le Seuil, 2004.
Le Voyage d'Eladio", Le Seuil, 2005.
Océan Pacifique, Le Seuil, 2006.
Marcher sur la rivière, Le Seuil, 2007.
La Promesse, Le Seuil, 2009.
L'Année du soulèvement, Le Seuil, 2010.
La lettre de Buenos Aires, Buchet-Chastel, 2011
La Source, Cadex, 2012
Un repas en hiver, Stock, 2012
L’homme qui avait soif, Stock, 2

Extraits

« Les gens prétendaient que mon père était un raté. Ils omettaient de dire qu’il avait attrapé des truites bleues à la main.
Je fermai les yeux. »
Une rivière verte et silencieuse

« Le flocon sur le bonnet du Juif finalement me tourmentait. […] Parce que si vous voulez savoir ce qui moi me faisait du mal, et qui m'en fait jusqu'au jour de maintenant, c'était de voir ce genre de choses sur les habits des Juifs que nous allions tuer : une broderie, des boutons en couleur, ou dans les cheveux un ruban. Ces tendres attentions me transperçaient […] et je souffrais pour les mères qui s'étaient donné ce mal un jour. Et ensuite, à cause de cette souffrance qu'elles me donnaient, je les haïssais aussi. »
Un repas en hiver


« Brusquement, Pavel s'est redressé et il a demandé :
- Qui a la montre ?
Alors je me suis souvenu que c'était moi. Je l'ai passée à Pavel parce que c'était à son tour de dormir avec. Pas pour la montre dont le mécanisme était cassé, mais pour la photographie d'une femme qui était à l'intérieur. C'était agréable de dormir avec cette photographie. Nous nous imaginions que cela nous portait chance. Nous ne savions pas pourquoi. Je crois même que nous n'y croyions pas, dans le fond, qu'elle nous portait chance. Mais nous aimions à le penser. »
Quatre soldats

« A tout moment, elle prenait forme, elle était vivante. Elle était son ombre. La nuit, il voulait se lever et aller boire dans la cour, au filet d’eau qui tombait dans le tonneau. Mais comme c’était une ombre d’une grande force physique, elle l’empêchait de bouger. Elle restait assise sur lui. Alors il buvait en rêve, mais pour son malheur, c’est l’ombre qu’il abreuvait, et ainsi elle se renforçait, et jusqu’au matin appuyait sur lui comme un arbre mort. »
L'homme qui avait soif



Brigitte Baumié, l'émotion des mots-sons




Née en 1958, musicienne et écrivain, Brigitte Baumié mène en parallèle la pratique de la composition électroacoustique et l'écriture poétique. Elle anime des ateliers de lecture et d’écriture pour tous les publics.
En perte d'audition depuis dix ans, elle travaille à la diffusion de la culture poétique auprès des personnes sourdes et anime des ateliers de création poétique en français et langue des signes. Elle collabore à la traduction de créations poétiques de la LSF vers le français et a mis en place avec l'association Arts Résonances, qu’elle anime avec Michel Thion, poète, un groupe de recherche sur la traduction et la création de la poésie dans les langues signées.
Elle participe au festival Voix Vives, à Sète, pour l’animation d’une scène où les poètes sont traduits en LSF.
Elle a créé plusieurs spectacles poésie et musique, a réalisé la « mise en sons » et a collaboré à la réalisation de « films dessinés » de Pierre Duba. Elle vit dans l’Hérault où elle anime avec Michel Thion, poète, l’association Arts Résonances.

Bibliographie
États de la neige, gra­vu­res de Philippe Tardy, éd. Color gang, 2011 (poésie)
J’ai tué, ça existe pas, éd. Color gang, 2010 (poésie)
La tra­ver­sée des aban­dons, illus­tra­tions Pierre Duba, éd. 6 pieds sous terre, 2007 (BD)

Créations musicales
— Les oreilles plissées, voyage dans l’univers sonore des sourds, création au festival Son Miré (Aude) 2008.
— Création musicale et bande-son pour le film « à Kyôto, cinq tableaux d’eau » de Pierre Duba, 2004-2007.

Spectacles
— Homère par mots et par gestes 2009 et 2010 avec Philippe Brunet et Olivier Schétrit.
— L’os qui voyage (spectacle jeune public). Stabat Mater furiosa (sur un texte de Jean-Pierre
— Cheyne ou vivre en poésie (sur des textes publiés par Cheyne-Éditeur).


Extraits

j'ai tué
ça veut rien dire
même une araignée
un serpent
c'est dans les grands trous
plus rien ne rentre
tout est blanc
sur blanc
on voit plus rien
on marche dans plein de blanc
personne ne donne la main

(…/…) Brigitte Baumié
(extrait de "J'ai tué, ça existe pas")

Hiver

ci gèle gît tu neige est fausse douceur
ci blanc gît bien sûr poudre aussi
ci blanc abstrait cristal
envolée poudreuse
ci-gît tu crois
tu peux marcher sur l'eau
ci neige mur vertical brûlant
pour perdre
se perdre
plus que neige enveloppe
ci-gît neige gelée au matin

Brigitte Baumié
(extrait de" Etats de la neige")


Hurle plus fort n’entend pas assez bien
Parce que la chaise est posée à cet endroit-là pas un autre
Pas rangée
Pas bougée
Blanc sale
Hurle plus fort que la chaise
Plus fort que le bras de la chaise
Que le carrelage
Hurle et grince et triture et emmagasine pour recracher
pourquoi pas
Pourquoi pas hurler avec la chaise sale et le papier blanc et lui qui est quelque part et qui dit
Lâche-toi
et il n’y a rien
et lui quelque part
peut-être travaille
peut-être dort
peut-être veille
… que c’est la limite quelle limite qu’on impose qu’on s’impose qu’il faut tenir et lâcher de l’autre part et pas hurler s’il te plait pas hurler comme ça
soit rassurante
marche clair sur le chemin
accompagne
pas hurler
pas dormir
pas lâcher mais lâcher quand même parce que si tu veux être toi
si être quoi
lui
sans question
lui comme ça dans l’instant pas plus pas moins juste ça
sans les comptes ni les jugements ni les remords ni
juste lui libre et libre aussi et ne hurle pas en claquant la porte
et qui empêche de hurler et d’écraser la fleur les pétales dans la main qui poissent
est-ce que ça tache ?
rouge qui devient violet malaxé gris
ça ne sent rien
juste poisseux collant un peu
jus essuyé trace sur les doigts morceaux de pétales collés comme des plaies
mains maquillés
maladie
n’est pas lui
dans la fleur écrasée

Brigitte Baumié
(extrait inédit)

Journal intime

Lundi 16 juin
Aujourd’hui, j’ai eu une journée fatigante.
Je n’ai quasiment pas eu un instant de répit au bureau. et, pour ne
rien arranger, pour rentrer chez moi j’ai dû subir le bruit et la pollution
de la fin d’après-midi.
en tout cas, j’ai eu au moins l’occasion de me distraire un peu en
observant un drôle de type, pas très loin du théâtre : assez jeune et
du genre robuste … et pas très patient. Je l’ai regardé s’agiter à son
volant et s’énerver contre les autres automobilistes. Un vrai spectacle
à lui tout seul ! J’ai même eu le temps de distinguer des tatouages
dessinés sur son bras. A un moment, il s’en est pris à un autre
conducteur plus âgé. J’ai l’impression qu’il lui reprochait de ne pas
s’engager au rond-point de l’Europe. Finalement, en forçant le passage
sur sa gauche, il a réussi à filer en direction du centre.

Mardi 17 juin
Par un curieux hasard, j’ai revu le type d’hier qui moulinait avec
son bras tatoué par la vitre ouverte. Cette fois-ci, alors que je me
dirigeais vers le parc pour m’aérer un peu, je l’ai retrouvé en compagnie
des forces de l’ordre. D’après ce que j’ai pu comprendre, il n’avait pas
mis sa ceinture de sécurité. Il a dû se prendre une contravention…
en définitive, tout cela m’a changé les idées…

"Zizanie sans le metro. Fantaisies, pastiches et Parodies"
Jacques Bretaudeau. Editions du Buëch 2013.

Apostrophe

« Hé, toi ! oui, toi, le lecteur ! toi, là, qui as le nez plongé dans ton
bouquin ! C’est à toi que je parle ! tu ne me vois pas mais moi je te
vois ! et tu pensais peut-être que je ne t’avais pas remarqué ?
Franchement, tu crois que c’est prudent de lire en marchant ? C’est le
meilleur moyen pour faire la rencontre inopinée d’un réverbère ou
éventuellement heurter un passant. Sans compter que tu te prives du
spectacle improvisé que ne manque pas de t’offrir jour après jour
cette petite ville de province que tu traverses sans même y prêter
attention. Heureusement que je suis là ! tiens, là, juste sous ton nez :
je suis prêt à parier que tu ne l’avais pas vu le grand malabar en train
de râler dans sa voiture. Mets-toi un peu à sa place aussi, peut-être
qu’il a une bonne raison d’être pressé ! et tu as vu son bras qui sort
par la portière ? Ah, reconnais-le, un tatouage comme ça, tu n’as pas
dû en voir souvent ! en plus, tu devais être sacrément plongé dans ta
lecture pour ne pas entendre le raffut qu’il est en train de faire ! oui, je
sais, ce n’est pas très gentil de s’en prendre ainsi à une personne du
troisième âge. Quant au vocabulaire, qu’est-ce que tu veux, c’est les
jeunes d’aujourd’hui, ça…
Bon, allez, tu peux reprendre ton bouquin : le grand malpoli vient
de forcer le passage au rond-point. Je te conseille tout même de lever
les yeux un instant pour traverser l’avenue… entre nous, tu ne serais
pas mieux installé sur un banc pour poursuivre ta lecture ? Pourquoi
n’irais-tu pas t’installer tranquillement à la Pépinière ? oui, demain, si
tu veux, après tout c’est toi qui décides… C’était juste un conseil
amical. et va savoir si te promener dans ce coin-là ne te donnera pas
l’occasion d’observer un nouveau petit spectacle de rue… Non, non,
je ne t’en dis pas plus, je ne vais certainement pas te raconter la suite,
à toi de faire ton boulot de lecteur, j’en ai déjà assez fait comme ça. »

"Zizanie sans le metro. Fantaisies, pastiches et Parodies"
Jacques Bretaudeau. Editions du Buëch 2013.


Scolaire

Un jour, en fin d’après-midi, à Gap, alors que je m’apprêtais à
traverser l’avenue Jean-Jaurès, je remarquai dans la file de voitures
un jeune conducteur à la stature imposante qui laissait pendre son
bras gauche tatoué par la vitre ouverte. Cet individu se mit à klaxonner
à l’encontre d’un automobiliste plus âgé qui le précédait en reprochant
visiblement à ce dernier de ne pas forcer le passage au rond-point.
Puis il interrompit son vacarme pour avancer rageusement en profitant
d’un espace laissé libre sur sa gauche.
Par le plus grand des hasards, j’eus l’occasion de le revoir le
lendemain, sur l’avenue Maréchal Foch, dans une situation nettement
moins favorable. Il s’était fait arrêter par les forces de l’ordre et un
agent de police lui dressait un procès-verbal pour défaut de ceinture
de sécurité.

"Zizanie sans le metro. Fantaisies, pastiches et Parodies"
Jacques Bretaudeau. Editions du Buëch 2013.


Ame lumière #05

Elle a caché le grapheur bleu
et distendu le réel
Les regards sont effacés
La beauté est écornée par des codes trop nombreux

Luc Jarru

Ame lumière #04

Quand l'un est l'autre
et qu'il gère les flux de sa mécanique du coeur
comme un mauvais mécanicien,
jouant à déjouer ses propres démons
la note médiane abreuve son soupir
dans les silences de la mélodie
raisonne les échos lointains
Je darde la vie aux rumeurs d'un vent qui tape le carreau
Cette rumeur s’immisce douce à son corps
sa visite parsème des espaces aux entournures
ravive des atermoiements aux blancs
pulse des parcours en chemin de feuille
Dans tous les sens du mot,
j'admire le rêve qui se pelotonne derrière
et m'envoie vers cet inconscient
Arrière ambre aux couleurs
Verrière et astres de firmaments vides
Videz vos dernières jouissances
et arrimez les aux bastingages des saisons
Lacrymales pimentez les douceurs de vivre
et rendez leur leurs certitudes
qu'ils les malaxent
comme autant de manivelles atteintes de maladie vénérienne
Les doigts tachés transmettent encore
leur douceur sur son torseur
relativisez ses pectoraux et leurs pointes cramoisis
corps de représentation, représentations
activez votre sens et tirez la littérature
vers son gouffre
Là sous ses yeux le trou invisible
où des mains caressent la littérature comme un amant
tant aimé et qui se languit de l'homme sans qualité
où se fait le désir et l'amour sale cherche sa soeur
qu'il n'a jamais eu
disparue si tôt
à donner d'autres vies après elle
sans ailes
Se poser sur elle et aimer le réel
qui la remonte le long des jambes
où sont les glaces qui blanchissent le sous sol
d'un fil tendu entre ses deux abîmes
posé sur le schiste repoussoir de châtaigner
Huilez le silence, qu'elle se penche sur le totem
tenant le câble sur lequel elle avance
Aimer à l'interface du réel et des mathématiques
où les asymétries badigeonnent rouge
sur sa peau des intérieurs rugissants
elle coule un bain d'ocre où pâlit mon ombre translucide
et son âme traverse le monde à grandes enjambées
Fleuris arbre d'hiver que le jour t'appelle

Luc Jarru

Ame lumière #03

Le ciel s'est décollé
un vent d'outre temps soulève mon âme
elle prend l'air marin et le fait glisser entre ses doigts sur lui.
L'âme légère descend dans son corps
C'est l'heure des démolitions
Les archétypes se sont perdus, l'air s'est empli de copeaux
d'amandiers bleus
Les contraires se sont affaissés dans le tartare
Les questions sont percées comme des outres à l'hémistiche de
nos vies
Arbres effacés, action recroquevillée
Que font tous ces concepts
Quand il circulent d'une tête à l'autre
Aurai-je enfin touché à la limite de l'à peu près
Sans doute à voir comment elle s'est retournée
pour échanger des joues
où se joue le possible devenir

Luc Jarru

Ame lumière #02

A l'objectivité de fins,
au temps qui se retourne.
Dans l'immobilité du mouvement.
tout s'arrête, même le silence et les acouphènes
et le sexe est un temps qui ne s'arrête pas.
Pendant que l'énergie infinie creuse le temps
La liaison est si forte que l'absolu est dépassé
Dans le lien qui se fait et se défait
Des peaux de peu
Le désir dans son archétype
Désir premier, quasi total qui se met dans la dureté
Imaginaire pur, sans le réel.
Ayant effacé le réel.
Ici coulait une rivière aux multiples méandres
laissant derrière elle des doigts en creux de pierres blanches aux
creusements incertains.
Absoudre les représentations ou se représenter le monde et les
êtres
Dans tous les cas ce sont des marqueurs du temps

Luc Jarru

Ame lumière #01

Dieu des mythes qui enflent dans ma tête et le sperme qui se retient
à l'écoute de cette femme post punk où le nofutur est dépassé
entre simplicité et vérité que le temps récupère après sa mort
lui qui me laisse dans cette écoute que je lui devais quand même.
Je soupire ces mythes de résurrection qui font bramer les âmes,
que reste-t-il de ce temps que la mort arrête quand elle le veut dans
ce corps qui s'effiloche et son cou, son nez qui me rappelle à elle la
mort, oh que de soupirs et de vies consumées pour dire des vérités
de bois morts,et aimer la vie aux femmes qui le souhaitent encore,
encore et abandonner, là, la vie pour se perdre une fois encore
dans les intervalles de la blessure
la tête invente des visions des ses idées passant comme des
vagabonds dans la poussière et grondant la fin
elle continue et dans les creux debussyens, elle applique des sons
qui se mettent en face de mes idées et dansent dans une
trépanation pour les laisser aller, aller
Il est là dans l'imprécision des chaos qui font le monde et refont le
monde et le monde,
et dieu se marre, là où tout un chacun hurle sa solitude et son chant
est l'écho de ces silences,
Aimer et il est mort comme prévu, comment peut-on la construire
avec un tel doigté?
me laissant avec ce surnom apoplectique
J'étais de lui et il ne savait pas qu'il me visait, et que faire de sa mort
et de sa mort au vivant de l'à peu près.

Luc Jarru "Traces Papier" (1)
Editions du Buëch, 2013

Minimaliste

Environ dix-huit heures, près du carrefour de l’europe. Encore un
embouteillage, pour changer… Devant moi, un jeune conducteur.
Plutôt costaud, le gars. Bras tatoué qui sort par la vitre. Voilà qu’il
s’énerve contre le vieux qui n’avance pas ! et hop, vite fait, bien fait,
un coup de volant bien ajusté, et il a réussi à griller la priorité !
C’est déjà demain. en direction de Briançon, cette fois-ci. Curieux
ça, j’ai l’impression que c’est le même type qu’hier. Décidément…
tiens, il fait moins le malin, il se prend un P.V. ! oubli de ceinture,
apparemment.
Enfin bref, pas de quoi en faire toute une histoire

Jacques Bretaudeau "Zizanie sans le metro. Fantaisies, pastiches et Parodies",
Editions du Buëch 2013.

Composition Bukowski #10

Bukowskipainting024

Charles Bukowski, dans une lettre à un ami où il dit comment il s'est « libéré » du travail pour pouvoir écrire.


"Ce qui fait mal, c'est l'humanité en régression constante, l'humanité de ceux qui se battent pour conserver un boulot dont ils ne veulent pas, parce qu'ils craignent le pire. Le peuple se vide purement et simplement. Des enveloppes munies d'esprits peureux et obéissants. Les yeux perdent leur couleur. La voix devient laide. Le corps aussi. Les cheveux. Les ongles. Les chaussures. Tout, en fait.

C'est pour ça que j'ai eu de la chance de me tirer de là, peut importe le temps que ça m'a pris, mais ça m'a apporté une sorte de joie, la joie pétante du miracle. J'écris maintenant avec ma vieille cervelle et ma vieille carcasse, j'ai dépassé le stade où la plupart des hommes n'imaginent même pas une telle prouesse, mais comme j'ai commencé si tard, je me dois de continuer. Et quand les mots faiblissent, quand on doit m'aider à monter les escaliers, quand je ne peux plus faire la différence entre un trombone et un oiseau bleu, je continue à espérer que quelque chose en moi va se souvenir ( peut importe jusqu'où j'ai pu aller ) de comment je suis passé à travers le crime, le bordel et le tumulte, pour finir par mourir d'une façon généreuse.

Ne pas avoir complètement gaspillé sa vie m'apparaît comme un accomplissement respectable, même si ça ne concerne que moi."

Traduction libre, Gaëtan Cassin

"And what hurts is the steadily diminishing humanity of those fighting to hold jobs they don’t want but fear the alternative worse. People simply empty out. They are bodies with fearful and obedient minds. The color leaves the eye. The voice becomes ugly. And the body. The hair. The fingernails. The shoes. Everything does.
So, the luck I finally had in getting out of those places, no matter how long it took, has given me a kind of joy, the jolly joy of the miracle. I now write from an old mind and an old body, long beyond the time when most men would ever think of continuing such a thing, but since I started so late I owe it to myself to continue, and when the words begin to falter and I must be helped up stairways and I can no longer tell a bluebird from a paperclip, I still feel that something in me is going to remember (no matter how far I’m gone) how I’ve come through the murder and the mess and the turmoil, to at least a generous way to die.
To not to have entirely wasted one’s life seems to be a worthy accomplishment, if only for myself."


After...

"Toutes les actions comportent une part de risque.
la prudence ne consiste pas à éviter le danger (c(est impossible)
mais à calculer les risques et à agir avec détermination.
Commettez des erreurs par ambition, non par paresse.
Développez la force de faire des choses osées,
pas la force de souffrir."

Niccolò di Bernardo dei Machiavegli

jeudi 29 mai 2014

Ma bête. To bête or not to bête

Tout le monde « aime les bêtes ».
Tout le monde dit qu'il « aime les bêtes ».
C'est devenu bateau, ringard et terrible : Hitler, à ce qu'il paraît, adorait les chiens.
Colette aussi, Dieu soit loué.
La France est le pays du monde où l'on compte le plus de bestioles par habitant. La SPA française est l'endroit du monde où l'on compte le plus de bestioles au centimètre carré.
Alors, « To bête or not to bête... ? »
That is the question...

« To bête », acte un, scène un.

Cinq heures du matin. Vous essayez péniblement de ramasser les bouts de rêves pour pouvoir vous rendormir. Vous avez envie de pisser, mais vous vous dites que, si vous vous levez, c'est MORT.
Vous faites de la résistance narcoleptique.
Un cul de chat passe sous votre nez. Avenant, frétillant. Se pose délicatement sur l'oreiller.
Vous avez envie de dire «  NON ». Vous avez envie de dire « Va jouer ailleurs ! ».
Mais au bout du cul du chat, y a un nez de chat et une langue de chat rose et râpeuse qui vous lèche les oreilles.
Vous vous levez pour aller aux chiottes, vous revenez, vous vous mettez en condition pour « L'Immersion Animale »
« L'Immersion Animale, « (I A), c'est quand vous êtes vautrés(es) dans votre plumard, en étoile de mer, avec un félin sur chaque cuisse. Lesquels ronronnent en « dolby surround . » Ça vibre, ça fait des ondes magiques. LE PIED....
Jusqu'à cinq heures du matin. Les chats se lèvent tôt.

« Not to bête », acte un, scène deux.

Vous promenez Médor ( ou Médorette ).
Il pleut. La laisse-à-enrouleur se bat avec le-parapluie-qui-s'ouvre-tout-seul. Et se referme aussi... Quand il veut.
Vous faites des paris sur l'un, puis sur l'autre. De toutes façons, vous savez que vous allez sortir perdant(e).
Médor(ette) tire. Cinq kilos à peine mais l'énergie d'un cheval de trait.
Vous êtes ridicule et mouillé(ée).
Médor(ette) s'accroupit, l'air de rien-mais-sérieux(se), devant une super baraque. ( Je vous fait grâce de la suite...)
Ça fait trois plombes que vous arpentez les terrains vagues, vous avez bousillé vos chaussures, mais Médor(ette) préfère les porches des riches.
Vous regardez en l'air, histoire de dire : «  Je ne connais pas ce quadrupède, c'est pas parce qu'il est au bout de la laisse qui est au bout de ma main que c'est le mien. »
Vous bénissez la pluie qui empêche les gens de sortir.

« To bête » acte un, scène trois.

Vous sortez de la baignoire. Vous êtes pas bien réveillé(e).
Vous enjambez le rebord. Vous glissez, vous vous rattrapez au rideau, vous cherchez la serviette.
L'Ami Fidèle vous la passerait volontiers. Il attend. Il sourit. Des poils plein ses yeux trop grands. Il sait bien qu'il ressemble à E.T croisé avec un Petshop mais il s'en fout :  Il vous aime.
Ça fait dix minutes qu'il patiente, même si le bruit de l'eau lui rappelle de sombres souvenirs :
« Médor, tu viens... Tu viens, on va se laver, on va se faire beau et mettre des huiles essentielles anti-puces...  Après, t'auras une galette... »
Ça il aime pas. Pourtant... il guette vos pieds. Il lèche vos pieds. Longuement, amoureusement.
Il lèche le tapis aussi, celui sur lequel vous avez posé VOS PIEDS.
S'il pouvait, il lècherait pareillement la baignoire, remplie de VOTRE ODEUR. Mais là, quand même, ça lui fait peur.

« Not to bête » acte un , scène quatre.

Vous partez en vacances. C'est rare mais ça arrive.
Vous emmenez Médor mais vous laissez LES CHATS à la maison. Le véto vous a dit que c'était mieux pour leur équilibre.
Vous avez donné une fortune à votre voisin pour qu'il vienne, deux fois par jour, nourrir, abreuver et caresser vos minous.
Un minou stressé est un minou qui fait des conneries. Qui bouffe les plantes vertes, qui fait ses griffes sur les murs et qui pisse partout SAUF dans le bac prévu à cet effet.
Vous prenez le chemin de la gare, avec les mômes, les valises et l'Ami Fidèle.
Vingt heures de train. Trois changements.
Pas un brin de pelouse pour Médor et ses naturels besoins. Il tire la gueule.
Vous vous inquiétez pour vos chats : vous faites bien. Vous allez retrouver l'appartement dévasté.

« To bête », acte un, scène cinq.

Le petit dernier s'est vautré en rollers / ne veut pas manger sa soupe / va piquer une crise.
Vous allez vous effondrer / crier / piquer une crise.
Vous appelez le chien / les chats.
Vous refilez le bébé à la boule de poil empathique et compatissante.
Qui montre son ventre, ce qu'elle a de plus précieux.
Qui tente de recoller les morceaux à grands coups de langue.
No doubts. No limits.
Le problème n'est plus de votre ressort.
Vous récupérez un gamin poilu, qui sent bon la croquette, mais calmé.
Vous êtes une mère / un père indigne
Vous calculez :

«Deux... « To bête »... pour Trois.... «  Not to bête »...»
Vous décidez de prendre un troisième chat.


mardi 27 mai 2014

Mon crayon, c'est un poireau

" Poireaux, PQ, melons. Poireaux, PQ , melons. Poireaux, PQ, melons, PQ, poireaux, melons..."
Plus Des Conneries...
Les " Des Conneries " ( DC ), en fait, c'est le Nœud Gordien des courses, les neuf-dixièmes du caddy.
Poireaux égalent pop-corn. PQ égale paquets de chips. Melons égalent montres bracelets. (Heureusement, ils en avaient pas chez DIA). Mais y avait des promos sur la mozza (six paquets, c'est moins cher), et sur les bonbons Haribo (six paquets, ça vaut le coup ).
Je passe à la caisse, fais un grand sourire à la préposée ( adorable ) qui me dit : «  Avec votre carte, vous avez économisé deux euros trente-six. »
Bénies soient les gentilles caissières.
Béni soit mon banquier, qui ferme les yeux pour l'instant.
Merde, je lui ai fait économiser deux euros et trente-six centimes...
Je bourre ma voiturette-à-mamie, celle où y a écrit en gros : « J'aime mon sac ! ».
Elle est déchirée, mais elle est réparée avec des rouleaux de Sopalin qui font office de fond. Depuis, elle roule sans s'effondrer. Elle descend même les trottoirs avant que je lui demande.

Au Grand Carrefour du village, en plein milieu du-passage-piéton-que-personne-ne-respecte, ça y est,  ça me reprend.
Les Mots.
Ma voiturette comprend, elle s'arrête. Le mec qui voulait tourner... Aussi.
Dieu existe. Mais ça, c'est parce que j'étais en train de penser à Lui.
En tout bien, tout honneur : un truc rigolo à mettre sur L'Ombilic des Neiges, mon blog fétiche. « Les douze commandements.... »...
Je cahote en répétant mes phrases tout haut. (Car j'ai malheureusement une mémoire de poisson rouge) .
Je passe le pont sous un nuage de lettres, je survis au Deuxième Carrefour grâce à l'aide du Saint Esprit, j'arrive au HLM, je monte : ( trois étages, ma carriole mollement alanguie dans mes bras...), je laisse tout en vrac et je cours à mes feuilles.
Comme d'hab, je trouve pas mon crayon, les chats ont dû jouer avec.
J'en ai un autre dans mon tiroir caché : celui de Gaëtan.
Car il y a un secret qu' il faut que je vous avoue : sur L'Ombilic, je suis polymorphe et hermaphrodite à mes heures.
« Gaëtan », « Naïs »...
En vrai, je m'appelle Chamallow mais je sais que vous ne direz rien.
Même ma psy n'avouera pas sous la torture et elle trouve ça plutôt cool.

Donc, j'étais en train de vivre un Super Moment d'Intimité avec Gaëtan quand ça sonne.
… Qu'es aquò ?... Douze heures-trente ! ! !... Abomination coupable...! J'ai invité GPJ à déjeuner.
GPJ, c'est Grand Pote Jack. Mon ami depuis la préhistoire. Ensemble, on a fait « La guerre du feu », « La conquête de l'ouest » et « Mars Attacks »... Mais j'ai pas fait à bouffer.
Y a les surgelés qui dé-surgèlent sur la table et mon chien qui s'intéresse de très près aux steaks hachés.
Mais le PIRE, c'est que je veux FINIR MON TRUC. J'ai l'intention, maintenant que c'est bien parti avec Gaëtan, d'en profiter un peu. Carpe diem et pêche la carpe.
J'envoie à mon cher invité un coup d'oeil désespéré... « S'il te plaît... »
Jack va s'asseoir.
« Heureux celui qui vous aime, celui qui aime son ami en vous et ses ennemis à cause de vous. » (Saint Augustin )
«  Je fêterai la Saint GPJ, trois-cent-soixante-quatre jours sur trois-cent-soixante-cinq si tu me laisses terminer mon histoire » (Bibi)
Jack reste assis.
Maintenant, j'en suis à l'étape de l'ordi. (Je tape avec un doigt et demi.)
Je me concentre, je suis la-dompteuse-du-clavier.
Jack crayonne sur la table basse.
Je peux pas m'arrêter de lui parler, j'ai des problèmes avec l'orthographe.
Jack crayonne sur la table basse.
Je lui demande de venir voir « ma connerie du jour »
Il se lève, migre et me fait « Hum... Hum... »
« HUM... HUM... »
(!!!???)
« Hum... Hum ? » Ça peut aller, il a le droit de bouffer.

En fait, on s'est goinfré de pop-corn, de chips et de bonbons Haribo.
On a bu du café, on a fumé une clope et on a refait le monde.
Jack est parti.
J'ai tenté de faire un peu de ménage et me suis penchée sur la table basse.
Dessus, y avait une caricature format A4 de Bibi, arrimée à son ordi, tirant la langue comme un cheval de course qui voit la ligne d'arrivée.
Avec les gouttes de sueur.
Je l'ai punaisée au dessus de mon PC.



Les douze commandements des dix-mille (clics)

1)  Tous les matins, avant le café, avant la clope, avant d'aller pisser, l'Ordi tu allumeras.

2)  Les tentations publicitaires tu éviteras. Sur L'Ombilic tu te connecteras.

3)   Les nouveaux articles tu contempleras. En faisant couler le café.

4)  Un plateau tu apporteras. Tartines, croissants ( si tu es riche), confiture, jus d'orange.

5)  La panse tu t'empliras.

6)  La tête tu t'empliras.

7)  Sur les touches, du Nutella tu ne mettras pas...

8)  Maintes et maintes fois tu cliqueras.

9)  Des commentaires tu concocteras. Même des méchants, Dieu est patient.

10)  A écrire, toi aussi, tu cogiteras. ( Accueil, Comment ça marche )

11)  Des idées tu auras. Au boulot, dans le métro, en promenant ton chien.

12)  Le seuil des dix-mille tu passeras. Toi ?... Qui ?... Les Etats-Unis ?...



Il te reste, en ce bienheureux jour du vingt-sept mai deux-mille-quatorze, quatorze heures, trois-cent-soixante-cinq clics, UN AN, pour y arriver.

Quand Georges Badin rencontre Emmanuel Merle

 


Né le 13 mars 1927 à Céret, Georges Badin se consacre d’abord à l’écriture (Publications au Mercure de France, Cahiers du Sud) puis à la peinture accompagnant des textes de Georges Emmanuel Clancier, Robert Marteau, Michel Butor, Emmanuel Merle.
Usant ensuite à la fois du mot et de la couleur, il peint des toiles libres (sans châssis) qui vont au-delà de ce que le texte peut exprimer. En 1968 il est à l’origine, avec Michel Vachey et Gérard Duchêne, de Textruction, mouvement proche de Support-Surface.
La peinture de Georges Badin, qui déserte l’abstraction, ne propose pas pour autant des ressemblances immédiates avec le monde connu mais ouvrent des horizons nouveaux. Des émergences fugaces
de silhouettes, courbes de collines ou de corps, fleurs ou plutôt floraisons, affleurements, flottements de mers entrevues, défient les limites du regard et de la pensée.
Georges Badin a été conservateur du musée de Céret de 1967 à 1987



Extraits de Tessons, par Armand Dupuy
 
A travers texte et peintures, Georges Badin arpente un lieu d’enfance, le lieu dit La Clapère, selon  trois angles d’attaque : le regard de l’enfant, du poète et du peintre. Cette traversée des lieux communs - « lieux » au pluriel , sans doute, parce que La Clapère est un vivier, les expériences sensorielles semblent s’y multiplier - forme alors une sorte de triptyque dont les panneaux s’avalent mutuellement. Inclusion réciproque du regard de l’un dans l’autre. C’est ainsi l’enfant dans le peintre que nous entendons, ou le peintre dans le poète, ou l’inverse. Ou tout autre chose encore.
Accueillir ce texte et ces peintures sur Tessons, c’est rappeler l’estime que j’ai pour le travail de Georges. Pour son engagement radical dans la peinture. Il s’agit d’un travail qui est, à mes yeux, une véritable prise de risque : Georges, bien souvent, déjoue la séduction, se contentant de peindre à toute vitesse, sans égard pour le « spectateur » ni pour ce que ses peintures lâchées pourraient renvoyer de lui-même. Mais ne pas trop en dire. Aller vers les souvenir. Avancer vers la « fabrique » d’un regard.

Pourtant la lumière

" Pourtant la lumière", publié aux Editions de la collection Mémoires d'Eric Croisel, reprend des poèmes manuscrits d'Emmanuel Merle et des peintures originales de Georges Badin.

Pourtant la lumière

"Les courbes épaisses des nuages
on dirait un avenir délaissé
l'immense nuage d'un possible
instantané.
Les oiseaux les dernières branches
les mains levées
toutes ces lignes de partage des eaux et de l'air
sont des désirs de passage
vers ce qui n'est pas ailleurs
mais une carrière mentale
où nous attendent des pierres levées.
Tout est vibration
la peinture en témoigne qui dit l'être
par la couleur.
Ce qui vibre n'a pas besoin de forme
l'insuffisance des mots immobiles au bord du monde
dans le vide la lumière frémit
palpite
la lumière
le pouls désordonné."

Emmanuel Merle








dimanche 25 mai 2014

La leçon de piano

Ça y est, j'ai encore écrasé les eskimos...
Je le sens dans la paume de ma main gauche, celle qui dérape du piano. Ma main droite m'obéit, normal, je suis DROITIER. Ma main gauche fait ce qu'elle veut.
« Esteban !... Attends... Recommence ! »
La prof reconstruit l'igloo. L'igloo, c'est ma main qui doit être bien ronde. Elle la pose délicatement, doigt par doigt, sur la glace des touches blanches.
J'essaie de pas penser aux bonhommes qui se sauvent, ils ont dû avoir peur...
Je m'applique à refaire une belle maison. Ronde, confortable, avec un grand feu qui chauffe à l'intérieur.
C'est comment, en vrai, dedans, une maison d'eskimos ? Est-ce que ça fond à cause du feu ?
Comment y font pour dormir ?
En plus, moi, ma maison, elle avance. C'est une caravane d'eskimos.
Booimg... Booimg... klurp...
« Esteban, t'as accroché un buisson ! »
La prof est marrante, elle parle comme dans les dessins animés.
Elle dit " le sol ", "le ré ", le " fa dièse " comme si elle les connaissait PERSONNELLEMENT.
Le " fa dièse " doit être très sérieux. Avec un costume et une cravate. C'est pour ça que j'arrive jamais à l'attraper. J'aime bien " le mi ", il est rose et sucré comme une fraise Tagada. Mais celui que je préfère, c'est " le do ". C'est le plus fort.
« On fait la rivière... ? 
- Oui, mais est-ce que je peux jouer au circuit de billes avant ?
- Non, on fait d'abord la rivière ! »

Mais je suis déjà loin.
Je reconstruis ma-grande-roue-formidable, avec loopings et cascades. Je suis bien obligé, vous comprenez, les chats étaient en train de la faire tomber.
« Esteban !...Estebaaaaan !... »
La prof s'énerve jamais. Elle a envie que je continue à aimer le piano.
C'est moi qui ai voulu apprendre. Je veux devenir le grand magicien de la musique : abracadabra et hop, un super accord, comme un lapin blanc qui sort d'un chapeau.
« Esteban, tu viens, maintenant... On fait la rivière !
-Ouiiiii... J'arrive »
La rivière, en fait, c'est une gamme.  Je dois la jouer calme, en colère, sous le soleil, après la pluie...
La rivière, c'est toujours gai, c'est MAJEUR.
Quand la gamme est triste, c'est MINEUR. C'est le désert avec les serpents.
C'est moi qui ai eu l'idée pour notre langage codé. Parce que le désert, le soir, ça doit être terrible et y a les serpents qui sortent. Les serpents, c'est la-note-sensible-qui-est attirée-par-la tonique. Elle est loin dans les touches noires. Elle se sauve toujours.

Les eskimos, les eskimos, faut pas que j'écrase les eskimos.
« C'est bien, Esteban, c'est très bien...
- Tu sais qu'hier, j'avais entraînement de foot ?
- Ah, oui, et tu as gagné ?
- J'avais des nouvelles baskets.
- Alors, c'est sûr, t'as dû gagner... »
Je continue la rivière.
« Je peux la faire très fort ?
- Oui, tu peux, mais attention aux voisins ! »
La prof triche, elle tourne le bouton en dessous, alors même si j'appuie de toutes mes forces, ça sera jamais le Niagara. En plus, le piano de la prof, comparé au mien, il est pourri. Il est tout grand et tout noir et y peut pas faire tous les sons.
Le mien, il PEUT.
C'est le Père Noël qui me l'a apporté, un peu en avance parce qu'il avait beaucoup de livraisons et que moi, c'était IMPORTANT.

« Esteban, concentre toi. Esteban, assieds-toi ! »
J'appuie sur les pédales.
« Non, Esteban, plus tard, quand tu seras grand... »
A la maison, je joue debout, même si j'ai pas le droit. Comme ça, je suis plus fort que mon clavier. Je suis le-dompteur-de-la-musique et je tape partout à la fois, comme dans les concerts.
C'est là que Maman applaudit. Elle croit que je suis Chopin.
Chopin, je connais, j'ai écouté sur internet et la prof m'apprend à lire les trucs bizarres sur la partition. C'est très rempli, plein de signes magiques, je trouve ça beau. Je lui ai demandé son livre pour la maison, elle me l'a prêté.

« Esteban, on chante ? »
Là, c'est la prof qui joue, et moi, je fais la voix des « Choristes ».
La, la dièse, si, do, do dièse.... J'arrive jusqu'au mi du haut. Toujours fraise Tagada mais un peu acide parce que c'est dur.
Je m'applique pourtant en même temps je m'amuse avec le chien sur le canapé. Je demande :
« Je peux lancer dix billes dans mon circuit ?
- Va lancer dix billes, mais après tu reviens chanter. »
En fait, je lance rien mais je me mets à côté de la prof et j'enfonce toutes les touches à la fois : je fais la bombe en bas, là où c'est grave et mystérieux. Puis tout en haut, là où ça fait chinois.
Un jour, je jouerai du Chopin. Je pourrai aller loin avec mes deux mains, toucher le bois du piano de chaque côté. Je serai comme un arbre et y aura la musique au milieu. Et mes copains seront épatés.
En attendant, je retourne à mon circuit de billes.


Pour Esteban qui va devenir un grand pianiste.

vendredi 23 mai 2014

" C'est cadeau ! "

Les étals obèses de la foire annuelle sont arrimés au bitume entre les marques à la craie, comme les perles mal enfilées d'un collier d'enfant : une nouille, un cœur, un truc monstrueux en pâte Fimo, une nouille, un cœur, trois poules blêmes et un violon tzigane.
J'ai pas un kopeck.
J'ai les poches légères.
A la loterie du distributeur, j'ai tiré le mauvais numéro. La machine a clignoté en rouge : « Veuillez prendre contact avec votre banque... vous pourrez recommencer l'opération ultérieurement... » Je crains que " l'ultérieurement " ne dure un certain temps.
Libre de visiter, sans arrières pensées, le temple boursouflé de la consommation.
Le Louvre de la ceinture en plastoc, des colliers qui brillent, des canards en caoutchouc, de l'huile d'olive bio et des tomes, (au choix : " de vache", " de brebis " ou " de montagne").
Des strings à deux balles, fluo et japonisants, vibrent comme les cordes d'un violoncelle extatique sur les fesses moulées d'un mannequin amputé, sans bras, sans jambes, sans tête. La victoire de Samothrace militant pour le handicap libéré. En fait, y a que le cul qui intéresse.
Celui du vendeur est pas mal. Le tabouret gâche un peu la perspective mais on a le temps de zieuter : il fume une clope.
Je me concentre en 3D sur le jean délavé, imagine le string rose qu'il a peut-être dessous et glousse.
« Vous voulez des renseignements ?
- Nan, en fait, c'est juste que je trouve vos produits très jolis...
- Vous faites quelle taille ?
- La vôtre mais je suis équipée...
- Vous êtes sûre ?
- En général, je sors jamais sans culotte... »
Un " complice."

Les poulets rôtis se contorsionnent dans les flammes de l'enfer. Dorés à n'en plus pouvoir, ils se languissent d'être mangés. Au départ, ils désiraient être enterrés mais on leur a proposé l'incinération. Ils trouvent maintenant que c'est chaud et voudraient que ça s'arrête.
Je peux pas m'empêcher de me demander quel peut avoir été, pour mériter la damnation éternelle, le terrifiant péché  d'un volatile de huit semaines.
J'aperçois les cactus. Je tourne.
J'aime les cactus. J'aime caresser leurs piquants, des fois, y en a des doux.
Je fais semblant d'être intéressée :
« Elles sont à combien, vos plantes ?
- Elles sont à dix euros. »
J'en prends plein les doigts.
Le mec qui les surveille trépigne et me lance des regards assassins.
«  Vous en voulez un ?
- Euh, non... Euh, OUI, mais je repasserai plus tard, je sais pas lequel choisir... »
Un " pas complice."

Tire-bouchons, Laguioles, toiles cirées ringardes, dinosaures hargneux, chiens en peluche qui jappent et tirent la langue quand on appuie sur la poire.
Ballons gonflés à l'hélium, qui vont se retrouver sur Mars, planter un drapeau et dire : « Je suis le roi du monde ! ».
Chouchous, (en dentelle), chouchous, (à bouffer), pizzas pleines de chorizo et paella avec des crevettes qui se carapatent.
Deux demi-tours, mes potes maliens.
Sourire compris.
La on peut rester trois plombes, tripoter, renifler les odeurs made-in-China. S'enquérir des couleurs de la nouvelle tendance.
Pas besoin de dire : « Qu'on reviendra après, quand on aura un cadeau à faire, merci... »
On peut demander des nouvelles de la grand-mère, (même si on l'a jamais vue), on peut parler des enfants et de la banlieue de Marseille, on peut refaire la vie entre deux faux « Little Marcel » et un collier à têtes de morts. « C'est la mode, c'est la mode, faut jeter un coup d'oeil !!! ».
On jette un œil et la main, on demande d'où ça vient.
Le ciel se découvre, le soleil rit.
Des " frères."

La rue des légumes. Rouge vif, rose tendre, violet onctueux, vert sauvage. Des natures mortes étonnamment vivantes . Rembrandt en pâmoison. Arcimboldo déguisé en maraîcher.
Je fais la queue, ici c'est le bazar, je pourrai toujours m'esquiver au dernier moment...
Un chihuahua, coincé dans un panier, entre les poireaux et les melons, me fait les yeux doux.
Normal, je sens le chien.
J'avance une main éminemment respectueuse.
La Mamie propriétaire frétille d'avance.
« Il s'appelle comment ? 
- Minette.. ».
 ( ???...!!!)
Minette est doux, Minette est sympa, Minette a des yeux d'agate trouble qui lui sortent de la tête. J'ai l'impression qu'ils vont tomber. J'ai pas envie de courir les ramasser alors je caresse plutôt vers l'arrière train. Qui se détend tout content.
Merde, c'est mon tour au marchand, j'attends pas le : « Madame, c'est quoi que je vous sers ? »
Je me sauve.
Regard triste de Minette.

Je me retrouve sur la place et ferme les yeux.
J'ai l'impression de me promener dans un poème de Bukowski...
Je tarde à soulever les paupières.
Me fais bousculer par un type pressé, sans cabas mais avec baskets Nike qui flashent. Je fixe les pompes qui s'enfuient. Pas de « Pardon, Madame », mais mieux : par terre, deux pièces de deux euros. Je mets le pied dessus.
Je vais voir mon pote malien, choisis un bracelet, lui tends mon trésor.
Il se marre et me dit : " C'est cadeau ! "