RESEAU

mercredi 30 avril 2014

Brautigan Contest Courts #04

Une flaque de sang au cœur du Petit Buëch.

- J’avais confiance en toi, et voilà!
- Et oui, tu avais confiance en moi et maintenant tu vas mourir.
- Je ne sais pas si on ne tourne pas en rond. Ce caillou, on I’a déjà vu tout à I’heure.
- Des cailloux, y’a que ça ici. On est dans le lit asséché d’un torrent. D’ailleurs, ça doit être plein de serpents. Si on se fait mordre par une vipère, on est mal, d’autant plus que le portable ne passe pas...
- Regarde! Un sentier ! Y’a qu’à le suiwe.

Elles suivirent le sentier large de quelques centimètres (il s’agissait donc d’une sente) parmi les broussailles et la grande forêt sombre, même qu’en plein jour et par un beau soleil on n’y voyait goutte. On aurait dit la forêt de Blanche Neige, lorsqu’elle fuyait le chasseur qui devait la tuer et que les arbres essayaient de I’attraper avec leurs branches griffues, Elles marchèrent un temps... certain.

- Dès qu’il fera nuit, on pourra utiliser la lampe Queschua qui clignote pour âppeler les secours. Maudit raccourci !
- Qu’est-ce qu’elle dit la carte?
- La carte, y’a longtemps qu’elle ne dit plus rien. En tout cas, on s’en rappellera de Robert et Ginette et de leur livre sur “les petites promenades au cceur du Buëch”. Je vais leur écrire et leur demander pourquoi ils veulent perdre les gens en pleine montagne en fabriquant des fausses cartes.
- Peut-être que c’est parce qu’on ne sait pas lire les cartes?
- Peut-être, mais c’est pas une raison. Ils ont fait des traits rouges partout sur leur carte. Ohé!
- Robert ! Ginette ! C’est où la sortie ?!
- Ils ont dit trois heures de marche pour arriver, ça fait quatre heures qu’on marche et on est au milieu de nulle part.

Elles arrivèrent au bout de la sente et débouchèrent sur... une carcasse de vache.
- Pourvu que dans deux ans, personne ne tombe pas sur la nôtre de carcasse...
- Regarde les os, ils sont impeccables. Si ça se trouve, elle s’est faite bouffer par les loups.
- Tu crois qu’ils auraient laissé les os? Non, elle s’est cassé la figure et a déboulé jusque là où elle s’est rompu Ie cou.
- Il faudrait surveiller, des fois qu’une autre vache vienne à tomber. Attention, chute de vaches !
- Tu imagines le titre dans le journal ? “Une flaque de sang au cœur du Petit Buech : deux promeneuses écrasées par une vachemaladroite qui a déboulé la montagne.”
La faim commençait à les tenailler lorsqu’elles arrivèrent après cinq heures de marche, dans une clairière parsemée de bouses de vaches séchées. Enfin, un signe de civilisation ! La dent d’Aurouze se dressait devant elle - fière comme Artaban - la forêt bruissait laissant entendre sa mélopée plaintive au grès de la brise estivale tandis que les oiseaux, insouciants face à la gravité de I’heure, gazouillaient. Elles s’installèrent dans cet endroit idyllique (si tant est que idyllique comprenne aussi les mouches qui vous rentrent dans le nez, les guêpes qui s’installent sur votre fromage et les serpents qui risquent de prendre logis dans votre sac à dos).

- On devrait garder du pique-nique pour “en cas où”.
- Oui, on va garder des dattes, du chocolat et des biscuits.
- Je pressens que la dernière chose que I’on va manger, ce sera des dattes fourrées au chocolat.
- Avec la dernière cigarette, ce ne sera pas si mal...

Après s’être sustentées, les deux promeneuses partirent à la recherche d’un trait. Un trait jaune, rouge, blanc ou de n’importe quelle autre couleur pourvu qu’il eut été tracé par un être humain. Nous allons abréger le récit et sauter quelques pages laborieuses au cours desquelles nos deux promeneuses errèrent, sautèrent des ruisseaux, s’embranchèrent dans des souches, glissèrent sur des feuilles, suivirent des sentiers que seuls quelques chamois, mouflons ou sangliers avaient osé emprunter avant elles. C’est ça I’instinct de survie ! Quoiqu’il arrive, il faut avancer !

- Oh! Regarde! Une chapelle! C’est la chapelle de la Crotte!
- Mais qu’est-ce qu’elle fait là? Elle n’est pas là normalement!
- Ça, c’est encore un coup de Robert et Ginette !
- Ok, maintenant, c’est bon. On a qu’à suivre le premier trait qui se présente et une fois arrivées à Gleize, Charance, Conode ou Matachare, on téléphone pour qu’on vienne nous chercher.
- Oh! Regarde! Le Petit Buëch!
- Ohl Le Petit Buëch! On va tremper nos pieds?
- Oui mais pas longtemps. On est parties depuis neuf heures ce matin et il est dix-sept heures trente. Juste pour aérer nos ampoules et aprés on repart.

En haut du sentier surgirent deux individus. Une dame habillée de fines dentelles et un monsieur portant un short colonial et un parapluie rouge. Des alter-égos avec deux bras, deux jambes et qui parlent ! On se croise, on se salue avec de grands sourires. Nos deux promeneuses eurent envie de les embrasser mais elles se retinrent car elles eurent peur d’avoir I’air bête. Un panneau indiquait le sentier des Bans. Le sentier des bans ! Au bout- il y a Rabou. Raboui Ses boulistes, ses mémés qui promènent, sa buvette (sauf qu’aucune des deux n’avait un sou).

En rentrant à la maison, avec dans les jambes douze heures de marche, elles ont appris qu’elles avaient disparu et que tout le monde les cherchait. Cette aventure leur a inspiré un beau projet. Elles vont écrire un livre. Le titre ? “Ballades au cœur du Buech hors des sentiers battus”. Ce ne sera pas un topo pour se repérer, elles en sont incapables. Ce genre de ballades servira à tester I’amitié : elle en sortira renforcée... ou déchirée àjamais...


Gisel C..
La Roche-des-Arnauds,

Hautes-Alpes.

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