Une flaque de sang au cœur du Petit
Buëch.
- J’avais confiance en toi, et voilà!
- Et oui, tu avais confiance en moi et
maintenant tu vas mourir.
- Je ne sais pas si on ne tourne pas en
rond. Ce caillou, on I’a déjà vu tout à I’heure.
- Des cailloux, y’a que ça ici. On
est dans le lit asséché d’un torrent. D’ailleurs, ça doit être
plein de serpents. Si on se fait mordre par une vipère, on est mal,
d’autant plus que le portable ne passe pas...
- Regarde! Un sentier ! Y’a qu’à
le suiwe.
Elles suivirent le sentier large de
quelques centimètres (il s’agissait donc d’une sente) parmi les
broussailles et la grande forêt sombre, même qu’en plein jour et
par un beau soleil on n’y voyait goutte. On aurait dit la forêt de
Blanche Neige, lorsqu’elle fuyait le chasseur qui devait la tuer et
que les arbres essayaient de I’attraper avec leurs branches
griffues, Elles marchèrent un temps... certain.
- Dès qu’il fera nuit, on pourra
utiliser la lampe Queschua qui clignote pour âppeler les secours.
Maudit raccourci !
- Qu’est-ce qu’elle dit la carte?
- La carte, y’a longtemps qu’elle
ne dit plus rien. En tout cas, on s’en rappellera de Robert et
Ginette et de leur livre sur “les petites promenades au cceur du
Buëch”. Je vais leur écrire et leur demander pourquoi ils veulent
perdre les gens en pleine montagne en fabriquant des fausses cartes.
- Peut-être que c’est parce qu’on
ne sait pas lire les cartes?
- Peut-être, mais c’est pas une
raison. Ils ont fait des traits rouges partout sur leur carte. Ohé!
- Robert ! Ginette ! C’est où la
sortie ?!
- Ils ont dit trois heures de marche
pour arriver, ça fait quatre heures qu’on marche et on est au
milieu de nulle part.
Elles arrivèrent au bout de la sente
et débouchèrent sur... une carcasse de vache.
- Pourvu que dans deux ans, personne ne
tombe pas sur la nôtre de carcasse...
- Regarde les os, ils sont impeccables.
Si ça se trouve, elle s’est faite bouffer par les loups.
- Tu crois qu’ils auraient laissé
les os? Non, elle s’est cassé la figure et a déboulé jusque là
où elle s’est rompu Ie cou.
- Il faudrait surveiller, des fois
qu’une autre vache vienne à tomber. Attention, chute de vaches !
- Tu imagines le titre dans le journal
? “Une flaque de sang au cœur du Petit Buech : deux promeneuses
écrasées par une vachemaladroite qui a déboulé la montagne.”
La faim commençait à les tenailler
lorsqu’elles arrivèrent après cinq heures de marche, dans une
clairière parsemée de bouses de vaches séchées. Enfin, un signe
de civilisation ! La dent d’Aurouze se dressait devant elle - fière
comme Artaban - la forêt bruissait laissant entendre sa mélopée
plaintive au grès de la brise estivale tandis que les oiseaux,
insouciants face à la gravité de I’heure, gazouillaient. Elles
s’installèrent dans cet endroit idyllique (si tant est que
idyllique comprenne aussi les mouches qui vous rentrent dans le nez,
les guêpes qui s’installent sur votre fromage et les serpents qui
risquent de prendre logis dans votre sac à dos).
- On devrait garder du pique-nique pour
“en cas où”.
- Oui, on va garder des dattes, du
chocolat et des biscuits.
- Je pressens que la dernière chose
que I’on va manger, ce sera des dattes fourrées au chocolat.
- Avec la dernière cigarette, ce ne
sera pas si mal...
Après s’être sustentées, les deux
promeneuses partirent à la recherche d’un trait. Un trait jaune,
rouge, blanc ou de n’importe quelle autre couleur pourvu qu’il
eut été tracé par un être humain. Nous allons abréger le récit
et sauter quelques pages laborieuses au cours desquelles nos deux
promeneuses errèrent, sautèrent des ruisseaux, s’embranchèrent
dans des souches, glissèrent sur des feuilles, suivirent des
sentiers que seuls quelques chamois, mouflons ou sangliers avaient
osé emprunter avant elles. C’est ça I’instinct de survie !
Quoiqu’il arrive, il faut avancer !
- Oh! Regarde! Une chapelle! C’est la
chapelle de la Crotte!
- Mais qu’est-ce qu’elle fait là?
Elle n’est pas là normalement!
- Ça, c’est encore un coup de Robert
et Ginette !
- Ok, maintenant, c’est bon. On a
qu’à suivre le premier trait qui se présente et une fois arrivées
à Gleize, Charance, Conode ou Matachare, on téléphone pour qu’on
vienne nous chercher.
- Oh! Regarde! Le Petit Buëch!
- Ohl Le Petit Buëch! On va tremper
nos pieds?
- Oui mais pas longtemps. On est
parties depuis neuf heures ce matin et il est dix-sept heures trente.
Juste pour aérer nos ampoules et aprés on repart.
En haut du sentier surgirent deux
individus. Une dame habillée de fines dentelles et un monsieur
portant un short colonial et un parapluie rouge. Des alter-égos avec
deux bras, deux jambes et qui parlent ! On se croise, on se salue
avec de grands sourires. Nos deux promeneuses eurent envie de les
embrasser mais elles se retinrent car elles eurent peur d’avoir
I’air bête. Un panneau indiquait le sentier des Bans. Le sentier
des bans ! Au bout- il y a Rabou. Raboui Ses boulistes, ses mémés
qui promènent, sa buvette (sauf qu’aucune des deux n’avait un
sou).
En rentrant à la maison, avec dans les
jambes douze heures de marche, elles ont appris qu’elles avaient
disparu et que tout le monde les cherchait. Cette aventure leur a
inspiré un beau projet. Elles vont écrire un livre. Le titre ?
“Ballades au cœur du Buech hors des sentiers battus”. Ce ne sera
pas un topo pour se repérer, elles en sont incapables. Ce genre de
ballades servira à tester I’amitié : elle en sortira renforcée...
ou déchirée àjamais...
Gisel C..
La Roche-des-Arnauds,
Hautes-Alpes.
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