Le rouge est mis. Sur la nappe du
parking.
Dans les nids de poules, y a des cailloux et sur les cailloux, des couleurs multicolores.
Dans les nids de poules, y a des cailloux et sur les cailloux, des couleurs multicolores.
A l'attache, le
lama jure en douce. Le bruit de la circulation doit lui gronder dans les
oreilles mais l'herbe rase lui plaît visiblement. J'approche pas
trop. Plus loin, il y a des chiens et leurs bébés dans une caisse
en carton.
Je contourne une file de voitures,
remonte sur le trottoir, lèche une goutte de sueur. Il fait chaud.
Que onze heures, mais putain...
Trois caravanes sont posées côte à
côte comme des papillons. Presque un cercle avec le camion. Pas
d'ailes, seulement des flancs en acier inoxydable avec de gros
arceaux. Ça fait de l'effet. Le chapiteau est en devenir, on dirait
le squelette d'un dinosaure qui attend le musée. Ou sa carapace.
Pour l'instant, cette dernière est par
terre, molle, un peu plissée. Tchou... tchou fait le vent dedans.
Je passe par dessus la barrière de
bois municipale. Un pas. Un demi-pas. Un grand pas...
" On dirait que vous êtes
pressée !
- J'allais faire des courses.
- C'est drôle, je vois pas votre
panier !
- Il est sur mon dos, c'est mon sac, il
me sert de voiture.
- Vous feriez mieux de faire attention.
- Pourquoi ?
- Vous allez vous faire mal aux
reins."
Il danse d'un pied sur l'autre, serre
les poings. Lentement, il amorce un swing dans le vide et rigole.
" Faut bien que je me défoule.
Vous voulez des renseignements pour ce soir ? Vous voulez
visiter la maison ?"
J'ai jamais été douée pour répondre
du tac au tac. J'ai dû bredouiller un truc qui ressemblait à un
acquiescement.
" Moi, c'est LE PERE. Qui est
aux cieux. Et qui en descend. Sur la corde lisse. Mais pour
l'instant, je monte, je monte... C'est quand je parle aux jolies
dames qui font leurs courses. Ça vous dit de voir le reste de la
famille ?"
Pas le temps de répondre.
" Là, c'est LE FILS... (Il tend la main vers un grand costaud à quatre pattes sous la
carapace). LA BRU est dans la caravane avec LA MERE. Elles
font travailler les enfants. Vous savez, les petits, y peuvent pas
aller à l'école, on bouge trop. Alors les cours, c'est « à
correspondance.""
Le vent emmêle ses cheveux et défait
ses paroles. C'est la première fois que je visite un cirque en
gestation. Devant la roulotte plaquée argent, il y a des cactus. Je
me demande comment ils font pour les transporter. Un instant,
j'imagine les pots coincés dans le mini-évier, entre la cocotte
minute et le costume de clown, pour caler.
LE PERE doit sentir que je m'égare..." Et si je vous présentais le
trapèze ? Les petits vont y aller."
C'est seulement là que je remarque que
le dinosaure a un boyau qui pend. Il a pas encore sa peau mais déjà
les organes essentiels. Un tube suspendu par des filins au dessus des
graviers, une balançoire hors normes, aucunement adaptée à la taille d'un
gamin. Ils ont quel âge, au fait ?
" On va chercher le tapis." Ah, quand même... " Ça vous dérange pas de m'aider ?"
" On va chercher le tapis." Ah, quand même... " Ça vous dérange pas de m'aider ?"
Plutôt deux fois, que je vais l'aider. Je pose mon sac pour enfiler un vieux rêve.
Le tapis est un gros machin de gym, bleu, épais... et lourd. Mais je m'en fous.
LE PERE appelle LE FILS. Qui appelle
LES ENFANTS.
Trois.
A vue de nez, douze ans, un garçon,
dix ans, une fille et une toute petite chose avec un tuyau dans le
nez. Un genre de sonde scotchée avec du sparadrap.
LE PERE danse au milieu du ring.
Les mômes ont l'air trop contents
d'avoir pu échapper aux devoirs. Je n'ose pas demander pour le
sparadrap.
"Bon, c'est pas tout ça, mais
faut y aller !"
Ils s'élancent à tour de rôle, sans harnais ni filet, graves,
concentrés, aériens. Les deux grands du moins, la petite fait des
galipettes sur le tapis.
LE FILS orchestre.
Moi je me dis que j'aimerais bien voir
LE FILS s'entraîner. En plus, il est en maillot. Faudra que
j'attende ce soir.
Bon sang, ce qu'y fait chaud
aujourd'hui...
" Là... doucement... plus
souple... Le sourire, le sourire..." ( Les artistes ne sont pas
en habits de parade, ils ont des vieux survêts qui coincent un peu ).
" Rappelle-toi... Trois, quatre
et hop ! Pas trois, quatre... je ne sais plus et hop ! Trois, quatre et hop ! Trois,
quatre et hop !"
C'est juste comme je commence à me
dire que la vie, c'est vraiment bien, que LA BRU... la mère en
fait... non, la femme du fils, débarque.
A tomber. En grande tenue. Celle de la
tournée de la pub à la sortie des écoles.
Je me suis rarement sentie aussi nulle
et déplacée : j'avais pas la parure, je zieutais son mec et ses
gamins, sans parler DU PERE qui me lâchait pas. Et je savais pas
faire du trapèze. Elle si, ça sautait aux yeux.
"Bonjour..." Un tout
petit bonjour.
" BONJOUR..." Un grand
bonjour qui sent le pop-corn et la cage aux fauves.
Je tourne, je mâche, je retourne ce mot de sept
lettres dans ma tête. Super amical, en fait... Merde aux apparences
et à ma petite personne complexée, c'est vraiment un beau
bonjour.
Alors, je me lance :
" Y sont vraiment forts vos enfants. Et c'est vous qui faites la maîtresse ?
" Y sont vraiment forts vos enfants. Et c'est vous qui faites la maîtresse ?
- Avec ma belle-mère, oui... Vous
allez venir ce soir ?"
Bien sûr, que je vais venir. Que
NOUS allons venir. En masse. Mes mômes, moi, les mômes des voisins
et des voisins des voisins, je vais faire une pub à tout casser. Elle
me montre les chiens, collés comme des tranches de pain devant la
caisse des chiots. « Eux aussi, ils font partie du
spectacle... »
A vingt heures, on était là. On était
beaucoup comme promis. On a eu un prix. Et du pop-corn. On a acheté
des ballons et des lions avec des fils qui clignotent. On a eu le
droit d'aller sur la piste.
La petite a fait un numéro. Elle avait
une maladie orpheline et ne pouvait pas manger.
L'année d'après, jour pour jour, le
cirque est revenu. La petite n'avait pas grandi, mais elle avait
trois numéros.
:o)
RépondreSupprimerOn s'y croirait !.....ou plutôt,on se croirait au début du xxème siècle....avec toute la poésie et la simplicité de la vie de l'époque
RépondreSupprimerTu es enfin dans la lumière! continue .
RépondreSupprimerAprès relecture'c'est encore plus beau:des images superbes,des traits subtiles(poser le sac pour enfiler un vieux rêve.....le vent emmêle ses cheveux
RépondreSupprimeret défait ses paroles....) c'est magnifique.....on pose son sac,on se laisse caresser par le vent et l'on regarde ,émerveillé,comme un enfant,cette installation qui vient d'un autre âge,celui du Grand Meaulnes par exemple
Je ne m'attache pas aux figures de style, qui sont superbes, mais au sujet, cette détresse de ceux qui nous amusent mais qui la gèrent fièrement. C'est vrai qu'on n'en parle pas, on voit la beauté de l'acte, égoïstement. Merci de l'avoir évoqué
RépondreSupprimer