Quatre jours, j'ai tenu. Quatre jours
sans papier ni gomme ni crayons. Maya râlait...
" Maman, AVANT d'écrire, tu nous
faisais des tartes aux pommes et du chili con carne. Maintenant,
c'est de la Mousline et des nuggets. Et encore, tu fais cramer les
nuggets ! "
Mea culpa . Mea grandissima culpa.
J'ai couru au Casino, j'ai acheté du
steak haché, le super, à 5 % de matières grasses, j'ai palpé
les poivrons, j'ai reniflé les oignons, j'ai amoureusement tourné
et retourné les pommes, j'ai choisi les plus belles, dodues,
charnues, fessues, je suis rentrée à la maison chargée comme le
renne du père Noël.
Alors que j'étais prête, le cœur
léger et la tête haute, à enfiler mon tablier de Génitrice
Parfaite, l'impensable s'est produit :
" Maman, pourquoi t'écris plus, t'as
plus d'idées?"
Incroyable dilemme.
Je commence à couper les poivrons, je
fais frire le steak et les oignons, j'ai l'âme ménagère et
bienveillante. Je couve mes ouailles et la sauteuse de mes yeux à
facettes, une vraie mère mouche.
" Pourquoi t'écrirais pas une histoire
pour nous, une histoire de nous ?
- Ben, j'en ai raconté, des histoires
de vous... Même qu'y en a qui vont être dans un bouquin.
- Mais nous, on voudrait que tu
racontes une Histoire Extraordinaire qui nous est arrivée. Pourquoi
tu racontes pas l'orage avec la piscine ?"
Alors... voilà l'histoire de l'orage
avec la piscine.
... C'est dans le petit bassin que ça a
commencé, un bébé éclair, tombé sans brassards dans l'eau
pipi-chlore...
" Nous, on fait pas pipi dans l'eau...
- Oui, mais y en a qui font."
... Donc, un bébé éclair...
... Donc, un bébé éclair...
" Les éclairs, ça met pas des
brassards !
- Ça s'appelle une image, c'est pour
faire joli..."
... Donc, un bébé éclair (je vais y arriver), tombé sans brassards dans l'eau pipi-chlore. Y a eu comme un froid même s'il faisait quarante degrés à l'ombre et la marée des serviettes a reflué, fantômes multicolores encapuchonnés d'éponge se ruant vers les vestiaires. L'eau est grise comme le ciel, presque trop chaude.
... Donc, un bébé éclair (je vais y arriver), tombé sans brassards dans l'eau pipi-chlore. Y a eu comme un froid même s'il faisait quarante degrés à l'ombre et la marée des serviettes a reflué, fantômes multicolores encapuchonnés d'éponge se ruant vers les vestiaires. L'eau est grise comme le ciel, presque trop chaude.
La piscine pour nous tout seuls, le
paradis, plus besoin de se battre pour avoir les tapis mousse...
" C'est vrai, maman, on était comme
des marsouins, on flottait dans nulle part, c'était cool !"
... On flottait comme des marsouins, dans
nulle part. Les premières gouttes s'étalent, douces sur les
cheveux...
" Mais y z'étaient dejà mouillés !
- L'eau du ciel, c'est mieux, non ?"
... Seulement vite, c'est le déluge. On décide de rentrer. On se sèche (ça, j'ai jamais
compris pourquoi), on s'habille, on se tasse dans le hall de la
piscine, c'est l'aventure. Des seaux, des trombes, des geysers, la
route comme le Niagara et le Zambèze réunis...
" C'est qui, Niagara et Zambèze ?
- C'est pas des gens, c'est des grosses
rivières, avec des chutes gigantesques.
- Comme nous, alors ?
- Comme nous alors"
... Je compte les secondes entre l'éclair
et le tonnerre. Dix secondes, cinq secondes, trois secondes, plus
de seconde, c'est tombé juste derrière les grilles. « Maman, j'ai peur... Maman,
on va mourir... » Là, l'auditoire Faustine râle :
"Tu fais croire que je suis un bébé,
enlève ça !"
Recommençons :
... C'est tombé juste derrière les
grilles. Il n'y a plus que nous et les employés municipaux qui
voudraient bien partir. Ils calculent le nombre de mètres qui les
séparent de leur bagnole...
" Raconte, quand Josua est sorti sous
la pluie pour faire le malin".
Le malin, c'est la maline, le chili est
en train de se dessécher sur le gaz et les pommes noircissent sur
la table.
" On fait une pause ? "
On fait une pause. Y m'aident
pour avoir vite la fin de Leur Histoire. Touiller, enfourner. Faire
gaffe au four cette fois.
Je renfile mon chapeau de conteur.
... Josua est sorti sous la pluie pour
faire le malin, y s'est fait engueuler...
" Maman, t'es forcée de le dire ?
- Oui, mon cœur, on sort pas sous les
éclairs."
... Pourtant, on a été obligé : la
piscine ferme pour de bon. On passe le Niagara, de la flotte à
mi-mollets. Depuis les murets qui bordent le stade, y a des cascadent qui
s'effondrent, grosses comme mes trois gamins réunis...
" Plus grosses encore que ça, on
aurait pu se cacher derrière !
- D'accord "
.... des cascades grosses comme trois géants réunis.
.... des cascades grosses comme trois géants réunis.
L'avenue, la crèche, la maternelle, le
chantier.
LE CHANTIER. Des échafaudages et deux
grues qui nous narguent. L'orage décide de se venger, il tourne,
zèbre, bombarde, s'acharne sur les grues. Ça pète de partout...
( Le public a l'air d'apprécier. Il a
les yeux rond et la bouche ouverte.
Un tour vers le four, faut retourner la
tarte pour éviter qu'elle ne cuise que d'un côté.)
... Cinq secondes, quatre secondes, trois
secondes, plus de seconde. Là, juste devant le platane, un truc
bleu fluo qui nous transforme en statues. Lesquelles refusent d'avancer, tout comme les chaussures qui resteront dans le torrent et qu'on a jamais retrouvées.
« Courrez, COURREZ ! »
La grande y va de bon cœur, les deux
petits réintègrent doucement leurs corps et finissent par s'y
mettre.
Droit devant, la barre du bâtiment et
son providentiel paratonnerre (bénis soient les HLM). Dix mètres, dix kilomètres, un
demi-marathon. Je me maudis, je suis une mère
indigne, on va faire La Une des journaux.
On fait le record du dix mètres coulé
sans chaussures.
Le parking, le tilleul, (qui fait la
gueule), LA PORTE D'ENTREE...
( Ça commence à sentir le caramel
depuis la cuisine, la tarte doit être cuite. On aura L'histoire et
Le Dessert.)
" La fin ! La fin !"
... Ben, quand on est rentré, on a vu
qu'on avait juste oublié de fermer la fenêtre de la chambre, alors le papier cloquait, pendait comme la
langue d'un dinosaure atteint de fièvre aphteuse.
On s'est mis à poil parce qu'on était
frigorifié.
... Et vous vous souvenez, vous m'avez
demandé de prendre un bain : J'ai dit oui, fallait bien se laver de
toute cette eau. Puis vous avez voulu construire une GRANDE cabane
sur le balcon avec des draps. Vu qu'y pleuvait toujours, j'ai dit
non.
Pour Maya, Faustine et Josua
On sort de la gravité, même si le sujet l'est ( Un orage avec des enfants ce n'est pas rien ). Cela fait du bien une histoire avec des gosses, et qui finit bien, forcément! Le mélange du fait actuel et de l'histoire vécue rend le texte très vivant. Bravo
RépondreSupprimerÇa fait plaisir de retrouver les 3 bouts de choux. On s y croirait.
RépondreSupprimerBien joué maman
le mot qui maladie la parole précisément. L'orage et la pluie brouillent le discours, la magie du comte est dans la parole floue. Je ne comprends pas tout, sauf que tu touches à l'essentiel, tout près, tout près...
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