RESEAU

samedi 26 avril 2014

Du chili dans la piscine

Quatre jours, j'ai tenu. Quatre jours sans papier ni gomme ni crayons. Maya râlait...
" Maman, AVANT d'écrire, tu nous faisais des tartes aux pommes et du chili con carne. Maintenant, c'est de la Mousline et des nuggets. Et encore, tu fais cramer les nuggets ! "
Mea culpa . Mea grandissima culpa.
J'ai couru au Casino, j'ai acheté du steak haché, le super, à 5 % de matières grasses, j'ai palpé les poivrons, j'ai reniflé les oignons, j'ai amoureusement tourné et retourné les pommes, j'ai choisi les plus belles, dodues, charnues, fessues, je suis rentrée à la maison chargée comme le renne du père Noël.
Alors que j'étais prête, le cœur léger et la tête haute, à enfiler mon tablier de Génitrice Parfaite, l'impensable s'est produit :
" Maman, pourquoi t'écris plus, t'as plus d'idées?"
Incroyable dilemme.
Je commence à couper les poivrons, je fais frire le steak et les oignons, j'ai l'âme ménagère et bienveillante. Je couve mes ouailles et la sauteuse de mes yeux à facettes, une vraie mère mouche.
" Pourquoi t'écrirais pas une histoire pour nous, une histoire de nous ?
- Ben, j'en ai raconté, des histoires de vous... Même qu'y en a qui vont être dans un bouquin.
- Mais nous, on voudrait que tu racontes une Histoire Extraordinaire qui nous est arrivée. Pourquoi tu racontes pas l'orage avec la piscine ?"
Alors... voilà l'histoire de l'orage avec la piscine.

... C'est dans le petit bassin que ça a commencé, un bébé éclair, tombé sans brassards dans l'eau pipi-chlore...
" Nous, on fait pas pipi dans l'eau...
- Oui, mais y en a qui font."
...  Donc, un bébé éclair...
" Les éclairs, ça met pas des brassards ! 
- Ça s'appelle une image, c'est pour faire joli..."
... Donc, un bébé éclair (je vais y arriver), tombé sans brassards dans l'eau pipi-chlore. Y a eu comme un froid même s'il faisait quarante degrés à l'ombre et la marée des serviettes a reflué, fantômes multicolores encapuchonnés d'éponge se ruant vers les vestiaires. L'eau est grise comme le ciel, presque trop chaude.
La piscine pour nous tout seuls, le paradis, plus besoin de se battre pour avoir les tapis mousse...
" C'est vrai, maman, on était comme des marsouins, on flottait dans nulle part, c'était cool !"
... On flottait comme des marsouins, dans nulle part. Les premières gouttes s'étalent, douces sur les cheveux...
" Mais y z'étaient dejà mouillés !
- L'eau du ciel, c'est mieux, non ?"
... Seulement vite, c'est le déluge. On décide de rentrer. On se sèche (ça, j'ai jamais compris pourquoi), on s'habille, on se tasse dans le hall de la piscine, c'est l'aventure. Des seaux, des trombes, des geysers, la route comme le Niagara et le Zambèze réunis...
" C'est qui, Niagara et Zambèze ?
- C'est pas des gens, c'est des grosses rivières, avec des chutes gigantesques.
- Comme nous, alors ?
- Comme nous alors"
... Je compte les secondes entre l'éclair et le tonnerre. Dix secondes, cinq secondes, trois secondes, plus de seconde, c'est tombé juste derrière les grilles. «  Maman, j'ai peur... Maman, on va mourir...  » Là, l'auditoire Faustine râle :
"Tu fais croire que je suis un bébé, enlève ça !"
Recommençons :
... C'est tombé juste derrière les grilles. Il n'y a plus que nous et les employés municipaux qui voudraient bien partir. Ils calculent le nombre de mètres qui les séparent de leur bagnole...
" Raconte, quand Josua est sorti sous la pluie pour faire le malin".

Le malin, c'est la maline, le chili est en train de se dessécher sur le gaz et les pommes noircissent sur la table.
" On fait une pause ? "
On fait une pause. Y m'aident pour avoir vite la fin de Leur Histoire. Touiller, enfourner. Faire gaffe au four cette fois.
Je renfile mon chapeau de conteur.
... Josua est sorti sous la pluie pour faire le malin, y s'est fait engueuler...
" Maman, t'es forcée de le dire ? 
- Oui, mon cœur, on sort pas sous les éclairs."
... Pourtant, on a été obligé : la piscine ferme pour de bon. On passe le Niagara, de la flotte à mi-mollets. Depuis les murets qui bordent le stade, y a des cascadent qui s'effondrent, grosses comme mes trois gamins réunis...
" Plus grosses encore que ça, on aurait pu se cacher derrière ! 
- D'accord "
.... des cascades grosses comme trois géants réunis.
L'avenue, la crèche, la maternelle, le chantier.
LE CHANTIER. Des échafaudages et deux grues qui nous narguent. L'orage décide de se venger, il tourne, zèbre, bombarde, s'acharne sur les grues. Ça pète de partout...

( Le public a l'air d'apprécier. Il a les yeux rond et la bouche ouverte.
Un tour vers le four, faut retourner la tarte pour éviter qu'elle ne cuise que d'un côté.)

... Cinq secondes, quatre secondes, trois secondes, plus de seconde. Là, juste devant le platane, un truc bleu fluo qui nous transforme en statues. Lesquelles refusent d'avancer, tout comme les chaussures qui resteront dans le torrent et qu'on a jamais retrouvées.
«  Courrez, COURREZ ! »
La grande y va de bon cœur, les deux petits réintègrent doucement leurs corps et finissent par s'y mettre.
Droit devant, la barre du bâtiment et son providentiel paratonnerre (bénis soient les HLM). Dix mètres, dix kilomètres, un demi-marathon. Je me maudis, je suis une mère indigne, on va faire La Une des journaux.
On fait le record du dix mètres coulé sans chaussures.
Le parking, le tilleul, (qui fait la gueule), LA PORTE D'ENTREE...

( Ça commence à sentir le caramel depuis la cuisine, la tarte doit être cuite. On aura L'histoire et Le Dessert.)

" La fin ! La fin !"
... Ben, quand on est rentré, on a vu qu'on avait juste oublié de fermer la fenêtre de la chambre, alors le papier cloquait, pendait comme la langue d'un dinosaure atteint de fièvre aphteuse.
On s'est mis à poil parce qu'on était frigorifié.
... Et vous vous souvenez, vous m'avez demandé de prendre un bain : J'ai dit oui, fallait bien se laver de toute cette eau. Puis vous avez voulu construire une GRANDE cabane sur le balcon avec des draps. Vu qu'y pleuvait toujours, j'ai dit non.


Pour Maya, Faustine et Josua


3 commentaires:

  1. On sort de la gravité, même si le sujet l'est ( Un orage avec des enfants ce n'est pas rien ). Cela fait du bien une histoire avec des gosses, et qui finit bien, forcément! Le mélange du fait actuel et de l'histoire vécue rend le texte très vivant. Bravo

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  2. Ça fait plaisir de retrouver les 3 bouts de choux. On s y croirait.
    Bien joué maman

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  3. le mot qui maladie la parole précisément. L'orage et la pluie brouillent le discours, la magie du comte est dans la parole floue. Je ne comprends pas tout, sauf que tu touches à l'essentiel, tout près, tout près...

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