RESEAU

mardi 24 juin 2014

Bateliers et radeliers de la Durance


Notre temps : radeliers sur la Durance

«Une chèvre ardente à la course, farouche, vorace, qui ronge en passant cades et argousiers.»
Frédéric mistral

C'est la Durance. 
Forme grecque Drouentias, forme latine Durentia, qui se retrouve dans le nom de beaucoup de rivières alpestres et signifierait « courir, couler avec force ».
LA grande voie de communication entre l'Italie du Nord et la Gaule méridionale. Malgré l'impétuosité de son courant et le danger. Car, sur une lon­gueur de 304 km, la différence d'altitude est de 1847 m, ce qui fait de cette rivière une des plus rapides de France.
( Avant les grands travaux récents des barrages, son débit pouvait atteindre 6.000 m3/seconde en période de crue, alors que l'étiage, débit le plus faible, n'était que de 50 m3.)

En 1664, César de Nostre Dame, le fils de Nostradamus, résumait dans son Histoire de Provence :
" La Durance est naturellement brusque, violente, limoneuse, furieuse, inconstante, inapprivoisable et méchante […] elle ne se laisse manier à sorte de bateaux quelconques […] hors de quelques radeaux qui ne craignent les tempêtes ".
L’étude des archives nous apprend que les crues étaient récurrentes au XIVè siècle, s’intensifient au milieu du XVIè et perdurent jusque vers 1850. 188 crues de plus de 3m au pont de Mirabeau entre 1832 et 1890 dont 7 supérieures à 7m.
Celle de 1843 entraina presque tous les ponts de la rivière entre les Mées et Cavaillon. Les cartes de l’époque révèlent une rivière bien plus large qu’aujourd’hui avec de multiples chenaux entre des iscles

Pourtant, depuis l'antiquité, la Durance est utilisée pour la navigation, au moins depuis Sisteron jusqu'à son confluent avec le Rhône, près d'Avignon, et le demeure jusqu'à la fin du XIXe siècle.
Les « bateliers » ou « nautes », regroupés en corporations, transportent les passagers et le fret.
Les « radeliers » descendent le bois depuis les Alpes.
Les « naviculaires » relient l'extrémité de la Durance près d'Avignon aux ports méditerranéens via le Rhône.
Les « utriculaires » passent les bras peu profonds ou livraient le fret lourd sur des radeaux bardés d'outres de peaux de chèvres gonflées afin d'améliorer leur flottabilité.
Les « haleurs », aidés parfois de bêtes de somme, assurent la remontée du courant sauf les mois chauds quand la brise du sud gonfle les voiles.
Les « passeurs » assurent la traversée du cours d'eau en bac.
Les « receveurs » lèvent des taxes sur tout ce qui transite sur la rivière. (Les comtes de Provence avaient concédé ce droit aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem au Xllème siècle.)

Le « Dictionnaire Historique et Topographique de la Durance », (E Garcin, 1835), nous dit qu'aux temps romains :
« Les bateliers remontaient la Durance jusqu'à Cavaillon. Cette ville avait un port assez vaste qui fournissait aux Cavares, aux Voconces et aux Tricastains. Cette ville avait aussi un collège pour les bateliers, où l'on apprenait à naviguer sur des outres. Ces sortes de bateliers étaient appelés utriculaires. »

Au moyen âge, les « nautes « deviennent des « bateliers », mot dérivé de l’occitan batèl ou batèu (prononcer : batéou, le bateau). Barques et radeaux remontent des marchandises variées, mais surtout du sel depuis le litto­ral, matière précieuse indispensable aux éleveurs de la montagne (nourriture des brebis et conservation des viandes). Briançon est alors une grande ville d'échanges, et les embarcations remontent jusqu'à Savines (actuel barrage de Serre-Ponçon). De là, le sel part à dos de mulets vers les hautes vallées et jusqu'en Piémont. Au retour, les embarcations redescendent du minerai (fer, plomb, cuivre), du marbre et des pierres pour les monuments.
Mais surtout la Durance est "flottable" par radeaux et permet d'acheminer à moindres frais les bois et poutres utilisées pour la construction des bateaux, des ponts et des charpentes. (Six hommes montaient en une journée un radeau en liant entre 12 et 24 troncs de sapins ou de mélèzes longs de 12 à 14 m. Des traverses rigidifiaient l'ensemble. Des rames étaient fixées aux deux extrémités. Des perches aidaient aux départs et aux accostages des quatre jours de navigation assez risqués.)
La descente se fait au fil de l’eau et la remontée par halage humain. La navigation fluviale se limite à descendre et remonter la rivière. (Après la Renaissance, avec la création de canaux, il sera possible de passer d’un fleuve à un autre et de faire réaliser de véritables voyages aux marchandises.)

Les hardis passagers et le fret insensible à l'eau sont les bienvenus afin de conforter le profit des radeliers, les taxes versées au profit des religieux ( voir plus haut) majorant jusqu'à 15 fois le prix de revente du bois…
Leur trajet de retour s'effectue à pied, sur l'antique voie domicienne à partir du village de Lurs. (Elle enjambe la Durance à Sisteron).
Le flottage « à bûches perdues » apparaît à partir du XVlème siècle. Des grumes, balancées dans le courant des plus grands affluents comme la Bléone, l'Ubaye et le Buëch, sont interceptées à la confluence avec la Durance afin d'y être assemblées en radeaux pour achever leur périple. 

Des sanctuaires balisent les dangers importants :
« Aux ports, il y avait des oratoires où les passagers se recommandaient à quelque saint avant de s'embarquer. Au bac de la Roque D'Anthéron, à la chapelle, on obtenait la protection de Sant Safourian (Saint Symphorien), après lui avoir rappelé que :
Si la Durenço pet, sian foutu...
Si la Durance pète, on est foutu... » 

Par le biais des échanges et des voyages, le culte de Saint Nicolas se propage à tous les métiers liés à l'eau. (Lors d'une tempête, Saint Nicolas serait apparu à un marin en détresse, aurait pris le gouvernail et ramené l'équipage à bon port.)
Charpentiers, bateliers, radeliers, marchands célèbrent la saint Nicolas le six décembre.
C'est l'occasion d'une cérémonie religieuse (procession, messe, bénédiction des bateaux et recueillement sur les tombes des victimes de la navigation), accompagnée d'un rituel corporatif : l'élection d'un patron de Reinage  (Roi de la marine pour l'année nouvelle).
La fête s'achève sur un grand banquet où tous les excès sont permis.

« Ah ! Pèr sant Micoulau, quand s'encavato
Lou Reinage, au partague de la gleiso,
Cresès que n'èro un flamme de triounfle
Per aquéu quèro Rèi de la marino ?,

A la saint Nicolas, lorsqu'à l'encan
on mettait le Reinage, au porche de l'église,
n'en était-ce pas un et flambant, de triomphe
pour celui qui était Le Roi de la marine. »
Frédéric Mistral

Cependant, l'importance de la voie navigable que constitue la Durance ne survit pas à l'implantation du chemin de fer, à la fin du XIXe siècle. En 1896, on ne compte plus à Sisteron que 11 "radeliers", et la dernière embarcation serait descendue en 1908... "La révolution du machinisme marquait la fin d'un mode de vie et d'usages qui n'avaient pas changé et pour ainsi dire pas évolué depuis l'époque romane" (Guy Barruol).
Au cours du 20e siècle, la fugueuse Durance est domptée par de nombreux barrages...
« ...mais où est-elle , que lui ont -t-ils fait? ... "trop domestiquée". » dit Jean Giono en 1968 , qui regrette son lit et ses flots majestueux.

Sources :
Naviguer sur la Durance
Navigation sur la Durance, amicale des lycées
Notre temps
Journal «  la Marseillaise »
Toi Durance (Henri Julien, Jean-Marie Gibelin)
Mes origines, Diogène éditions libres, Frédéric Mistral
Les personnages mythiques
Traverser la Durance à Mirabeau (Randomania plus)
Dictionnaire Historique et topographique de la Durance ( 1835)


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