« Oiso...
- Bido...
- Oisooooo...
- Bidoooo.... »
Oiso est perchée sur son toit. Bido
est dans la cabane. Elles jouent à « on est caché mais on
sait où on est ».
Oiso à dix ans. Bido cinq.
Le jardin regorge de surprises. Il y a
le cerisier, où on peut construire des cabanes de poupées, et qui,
en plus, donne des cerises. Qui offre aussi aux gourmets sa gomme
brune qui globule par endroits : on la récupère, on la met
dans un bocal avec du miel et de l'eau, on laisse une semaine au
soleil... Et on boit. Ça pétille, ça doit sûrement être infect
mais c'est délicieux.
Il y a le poulailler où s'ébrouent
innocemment deux poules, deux poules naines, un dindon, un lapin et
une vingtaine de cochons d'Inde.
Les poules pondent des œufs rosés.
Les poules naines des œufs tout blancs. Même le « jaune »
à l'intérieur est blanc crémeux.
Le dindon joue la star : il est
susceptible et veut toujours avoir le dernier mot.
« Glou... Glou... » fait le
dindon.
« Glou... Glou... » répond
Oiso.
« GLOU... GLOU... »
rétorque le dindon.
« GLOU... GLOU... »
surenchérit Oiso.
« GLOOUU... GLOOUUUU... »
s'étrangle le dindon, qui passe par toutes les couleurs de l'arc en
ciel. Rouge, violet, bleu, bleu-vert.
Oiso croit toujours qu'il va éclater,
mais non.
Le pauvre est quand même passé à la
casserole. On lui a coupé le la tête, un après-midi. Oiso l'a vu à
travers les fentes des volets de la chambre où elle était censée
faire la sieste.
Le lendemain, pourtant appétissant
et rôti, personne n'en a mangé.
C'est dur de digérer un artiste.
« Oiso... T'es où ?
Oisoooo... ?
- Juste là, au dessus !
- On va jouer au « chien qu'est
blessé ?
- Ben si tu veux, je vais chercher les
bandes...
- Tu prends aussi les piqûres ?
- Ouais, et les comprimés pour la
récompense... »
« Le chien qu'est blessé »
consiste à immobiliser Poucet, le berger d'Oiso, à lui expliquer
qu'il est TRES malade, et à lui bander extrêmement serré la cuisse
et la patte arrière.
Après, Poucet boîte. Elles n'ont
jamais su si c'était pour leur faire plaisir ou à cause du bandage.
Le troupeau de cochons d'Inde a suivi
deux courbes : la première, nettement exponentielle (une
portée tous les trois mois), la seconde, franchement dégressive.
(Ils finiront par s'éteindre à force de consanguinité). En
attendant, dans leur phase d'opulence, ça grouille et c'est super
pratique : on peut apporter à l'école, dans une cage, une
maman enceinte, la laisser le jeudi, et le vendredi, y a trois bébés
en plus.
Les cochons d'Inde, c'est aussi ce qui
a permis à Bido de ne pas crever de faim. (N'allez pas croire
qu'elle les mangeait, NON... Mais petite, elle VOULAIT RIEN avaler).
Alors, on lui mettait à côté de son
assiette une bestiole et un peigne... et pendant qu'elle coiffait le mammifère, ni vu ni connu, on enfournait les cuillerées.
« Bido, viens vite.... Bido,
viens voir ! »
Elles lâchent le chien et se
précipitent vers le poulailler.
L'ATTRACTION.
Y a encore le lapin qui
« fait des enfants » à une poule.
Vrai de vrai, juré, craché.
Bido comprend rien mais se marre, Oiso
glousse. Elle espère secrètement voir, un jour, un poussin poilu avec de
grandes oreilles sortir d'un œuf...
Pour le coup, elles sont plutôt
complices, pourtant Oiso n'a pas toujours été tendre avec Bido.
Quand sa sœur avait trois ans, elle
lui faisait manger les crottes de souris.
« C'est quoi ?
- C'est des bonbons.
- Pourquoi ils sont par terre ?
- Parce que c'est comme les œufs
laissés par les cloches de Pâques.
- Je peux goûter ?
- Ben ouais...
- T'en veux pas ?
- Je te les laisse, tu es la petite ! »
Après, il y a eu les limaces. D'abord une
minuscule, un bébé limace. Avalée, même topo, même histoire.
Encouragée par l'expérience, Oiso en
a présenté une GROSSE à sa frangine, accompagnée de moult
« Huuum...Huuum... ! » (Pauvre limace...)
Là, ça a coincé lors de la
mastication.
De la bave qui moussait, bullait et sortait de partout.
La môme avec la bouche ouverte, béante comme la gueule d'un crocodile qu'on a coincée avec un bâton.
La môme avec la bouche ouverte, béante comme la gueule d'un crocodile qu'on a coincée avec un bâton.
Maman est intervenue, n'a pas tout
saisi (heureusement), mais a flanqué une ratatouille à Oiso : « On ne peut pas te faire
confiance ! »
Ensuite, y a eu le portique.
Oiso hissait sa sœur sur la barre du
milieu, l'accrochait avec des cordes et lui disait :
« T'es une guerrière, une vraie
sauvage, t'es prisonnière, tu DOIS te débrouiller pour
descendre ! »
Bido hurlait juste.
Maman rappliquait et râlait :
« On ne peut pas te faire confiance ! »
Le couronnement, ça a été « le
Cirque du Soleil ».
Pendant le spectacle, il y avait un
équilibriste qui montait sur une échelle posée contre RIEN.
Une passerelle magique.
Le lendemain, dans le jardin, Oiso sort
la grosse échelle de Grand-Père, essaye de l'enfoncer dans la
pelouse, n'y réussit pas, mais dit à Bido :
« Mets toi devant et REGARDE ! »
La petite obtempère, et, du haut de
ses cinq ans, ADMIRE SA GRANDE SOEUR.
Laquelle grimpe sur l'échelle.
Premier barreau : ça tient.
Deuxième barreau : ça tient.
Troisième barreau : ça tangue.
Quatrième barreau : ça valse.
Cinquième barreau : ça tombe sur
la tête de la spectatrice qui espérait le miracle.
L'échelle avait des crochets de
charpentier : le massacre.
Le crâne fendu, et du sang, du sang, du sang...
Oiso repose l'échelle ( elle la
cachera plus tard), appelle les parents, berce sa sœur en lui
murmurant à l'oreille :
« C'est la balançoire qui t'a
cognée.... c'est la balançoire qui t'a cognée... je me balançais,
tu es passée devant et t'as pris la balançoire... »
Pompiers, urgences, radios, points de
suture. Un jour d'observation.
Oiso était paralysée par la peur et
le remord.
(A dix ans, quand même, on se doute que
trente-cinq kilos de gamine plus une échelle, c'est pas tout à fait
pareil qu'une balançoire).
Elle se renseigne en douce sur « les
examens » « le suivi médical ».
Elle jure au ciel et à sa sœur
qu'elle lui lui prêtera, lui DONNERA, tous ses jouets.
C'est la tête de l'homme invisible qui
est revenue, l'hôpital avait réparé le trou et enturbanné de
blanc.
La vie continuait.
Vingt ans après, au cours d'une
rigolade de souvenirs d'enfance, Oiso demande à Bido :
« Tu te rappelles, quand je t'ai
fait tomber l'échelle sur la tronche quand t'avais cinq ans ?
- Ah, ouais, je me rappelle...
... mais c'était pas une échelle, c'était la balançoire ! »
... mais c'était pas une échelle, c'était la balançoire ! »
Bénies soient les petites sœurs.
Ps : Bido n'a pas gardé de
séquelles...
Elle est maintenant une
auteure-illustratrice reconnue de livres pour enfants.
Si vous voulez aller voir sur internet,
elle s'appelle Claire Cantais.
Il faut le faire ! Le " danger " de la grande soeur pour une gamine qui ne voit le mal nulle part
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