RESEAU

jeudi 26 juin 2014

Do you remenber...?

« Oiso...
- Bido... 
- Oisooooo...
- Bidoooo.... »
Oiso est perchée sur son toit. Bido est dans la cabane. Elles jouent à « on est caché mais on sait où on est ».
Oiso à dix ans. Bido cinq.
Le jardin regorge de surprises. Il y a le cerisier, où on peut construire des cabanes de poupées, et qui, en plus, donne des cerises. Qui offre aussi aux gourmets sa gomme brune qui globule par endroits : on la récupère, on la met dans un bocal avec du miel et de l'eau, on laisse une semaine au soleil... Et on boit. Ça pétille, ça doit sûrement être infect mais c'est délicieux.
Il y a le poulailler où s'ébrouent innocemment deux poules, deux poules naines, un dindon, un lapin et une vingtaine de cochons d'Inde.
Les poules pondent des œufs rosés. Les poules naines des œufs tout blancs. Même le « jaune » à l'intérieur est blanc crémeux.
Le dindon joue la star : il est susceptible et veut toujours avoir le dernier mot.
« Glou... Glou... » fait le dindon.
« Glou... Glou... » répond Oiso.
« GLOU... GLOU... » rétorque le dindon.
« GLOU... GLOU... » surenchérit Oiso.
«  GLOOUU... GLOOUUUU... » s'étrangle le dindon, qui passe par toutes les couleurs de l'arc en ciel. Rouge, violet, bleu, bleu-vert.
Oiso croit toujours qu'il va éclater, mais non.
Le pauvre est quand même passé à la casserole. On lui a coupé le la tête, un après-midi. Oiso l'a vu à travers les fentes des volets de la chambre où elle était censée faire la sieste.
Le lendemain, pourtant appétissant et rôti, personne n'en a mangé.
C'est dur de digérer un artiste.

« Oiso... T'es où ? Oisoooo... ?
- Juste là, au dessus !
- On va jouer au « chien qu'est blessé ?
- Ben si tu veux, je vais chercher les bandes...
- Tu prends aussi les piqûres ?
- Ouais, et les comprimés pour la récompense... »
« Le chien qu'est blessé » consiste à immobiliser Poucet, le berger d'Oiso, à lui expliquer qu'il est TRES malade, et à lui bander extrêmement serré la cuisse et la patte arrière.
Après, Poucet boîte. Elles n'ont jamais su si c'était pour leur faire plaisir ou à cause du bandage.

Le troupeau de cochons d'Inde a suivi deux courbes : la première, nettement exponentielle (une portée tous les trois mois), la seconde, franchement dégressive. (Ils finiront par s'éteindre à force de consanguinité). En attendant, dans leur phase d'opulence, ça grouille et c'est super pratique : on peut apporter à l'école, dans une cage, une maman enceinte, la laisser le jeudi, et le vendredi, y a trois bébés en plus.
Les cochons d'Inde, c'est aussi ce qui a permis à Bido de ne pas crever de faim. (N'allez pas croire qu'elle les mangeait, NON... Mais petite, elle VOULAIT RIEN avaler).
Alors, on lui mettait à côté de son assiette une bestiole et un peigne... et pendant qu'elle coiffait le mammifère, ni vu ni connu, on enfournait les cuillerées.

« Bido, viens vite.... Bido, viens voir ! »
Elles lâchent le chien et se précipitent vers le poulailler.
L'ATTRACTION.
Y a encore le lapin qui « fait des enfants » à une poule.
Vrai de vrai, juré, craché.
Bido comprend rien mais se marre, Oiso glousse. Elle espère secrètement voir, un jour, un poussin poilu avec de grandes oreilles sortir d'un œuf...
Pour le coup, elles sont plutôt complices, pourtant Oiso n'a pas toujours été tendre avec Bido.
Quand sa sœur avait trois ans, elle lui faisait manger les crottes de souris.
« C'est quoi ?
- C'est des bonbons.
- Pourquoi ils sont par terre ?
- Parce que c'est comme les œufs laissés par les cloches de Pâques.
- Je peux goûter ?
- Ben ouais...
- T'en veux pas ?
- Je te les laisse, tu es la petite ! »

Après, il y a eu les limaces. D'abord une minuscule, un bébé limace. Avalée, même topo, même histoire.
Encouragée par l'expérience, Oiso en a présenté une GROSSE à sa frangine, accompagnée de moult « Huuum...Huuum... ! » (Pauvre limace...)
Là, ça a coincé lors de la mastication.
De la bave qui moussait, bullait et sortait de partout.
La môme avec la bouche ouverte, béante comme la gueule d'un crocodile qu'on a coincée avec un bâton.
Maman est intervenue, n'a pas tout saisi (heureusement), mais a flanqué une ratatouille à Oiso : « On ne peut pas te faire confiance ! »
Ensuite, y a eu le portique.
Oiso hissait sa sœur sur la barre du milieu, l'accrochait avec des cordes et lui disait :
« T'es une guerrière, une vraie sauvage, t'es prisonnière, tu DOIS te débrouiller pour descendre ! »
Bido hurlait juste.
Maman rappliquait et râlait : « On ne peut pas te faire confiance ! »

Le couronnement, ça a été « le Cirque du Soleil ».
Pendant le spectacle, il y avait un équilibriste qui montait sur une échelle posée contre RIEN.
Une passerelle magique.
Le lendemain, dans le jardin, Oiso sort la grosse échelle de Grand-Père, essaye de l'enfoncer dans la pelouse, n'y réussit pas, mais dit à Bido :
« Mets toi devant et REGARDE ! »
La petite obtempère, et, du haut de ses cinq ans, ADMIRE SA GRANDE SOEUR.
Laquelle grimpe sur l'échelle.
Premier barreau : ça tient.
Deuxième barreau : ça tient.
Troisième barreau : ça tangue.
Quatrième barreau : ça valse.
Cinquième barreau : ça tombe sur la tête de la spectatrice qui espérait le miracle.
L'échelle avait des crochets de charpentier : le massacre.
Le crâne fendu, et du sang, du sang, du sang...
Oiso repose l'échelle ( elle la cachera plus tard), appelle les parents, berce sa sœur en lui murmurant à l'oreille :
« C'est la balançoire qui t'a cognée.... c'est la balançoire qui t'a cognée... je me balançais, tu es passée devant et t'as pris la balançoire... »
Pompiers, urgences, radios, points de suture. Un jour d'observation.
Oiso était paralysée par la peur et le remord.
(A dix ans, quand même, on se doute que trente-cinq kilos de gamine plus une échelle, c'est pas tout à fait pareil qu'une balançoire).
Elle se renseigne en douce sur « les examens » « le suivi médical ».
Elle jure au ciel et à sa sœur qu'elle lui lui prêtera, lui DONNERA, tous ses jouets.
C'est la tête de l'homme invisible qui est revenue, l'hôpital avait réparé le trou et enturbanné de blanc.
La vie continuait.
Vingt ans après, au cours d'une rigolade de souvenirs d'enfance, Oiso demande à Bido :
« Tu te rappelles, quand je t'ai fait tomber l'échelle sur la tronche quand t'avais cinq ans ?
- Ah, ouais, je me rappelle...
... mais c'était pas une échelle, c'était la balançoire ! »
Bénies soient les petites sœurs.



Ps : Bido n'a pas gardé de séquelles...
Elle est maintenant une auteure-illustratrice reconnue de livres pour enfants.
Si vous voulez aller voir sur internet, elle s'appelle Claire Cantais.





1 commentaire:

  1. Il faut le faire ! Le " danger " de la grande soeur pour une gamine qui ne voit le mal nulle part

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