RESEAU

jeudi 12 juin 2014

L'Habitarelle, texte publié par Brunehilde

Première expérience dite "sauvage"
Souvenirs…Souvenirs… Pas facile de "sauter le pas" et de prendre la plume. D’autant que d’une randonnée à l’autre, ils se chevauchent. Si on peut dire !
C’était "en époque", alors que nous étions jeunes… Nous étions trois amis et nous montions en club. L’un de nos instructeurs était un passionné et pour lui, la finalité de cet apprentissage en manège, c’était l’extérieur… C’est ainsi que nous avons découvert la forêt de Sénart de nuit. Ou cette même forêt à 8h du matin, sous la pluie… Mais pour Jacques MANCEL, la seule expérience valable, c’était l’Habitarelle…
Internet n’existait pas et nous avons cherché… dans le bottin. Et nous avons écrit. Et nous avons reçu un programme en retour. Et après moult hésitations, nous nous sommes décidés pour une randonnée de cinq jours, en mai, sur le Mont Lozère. Il fallait tenter, sur une période pas trop longue…
Nous avions l'impression d’avoir signé pour l’aventure de l’explorateur fou. Nous lisions en long et en large les recommandations : pas plus de douze kilos de bagages. Un chapeau. Un duvet. De la crème solaire… Et j’en oublie ! Padraig nous dit, sûr de lui : "Nous serons au sud de la Loire : il va faire chaud". Première erreur !
Camille, habituée dans sa jeunesse aux employées de maison et au confort d’une grande demeure, me dit : "il faudrait que TU téléphones pour savoir comment on fait sa toilette, par exemple". Je m’exécute et là je tombe sur une charmante interlocutrice qui m’explique que : "pas de problème, on bivouaque toujours près d’un point d’eau…" Hum ? ? ? ... Et pour dormir ? " Pas de problème, on vous prête un sac de bivouac". J’arrête là mes questions idiotes : on verra bien ! D’autres ont dû survivre, sinon, les randonnées de l’Habitarelle n’existeraient plus…
On arrive à Châteauneuf de Randon. Notre guide : Anne Mariage qui monte Camisard. Première angoisse : quel cheval va-t-on avoir ? Camille mesure 1m 55. Elle montera JUDITH. Padraig est un grand costaud, il aura EL MANSOUR. Et moi, je ne suis pas kamikaze. Comment dit-on ? … : "en arrière de la main" ? Je monte LESTEL. Nous sommes une quinzaine de cavaliers aventuriers. Mais les chevaux semblent sympas et la petite troupe finit par s’élancer. Les téléphones portables n’existaient pas et nous nous étions engagés à ranger nos montres… Nous voilà hors du temps !
Première péripétie : Chantal (une habituée, dans la cinquantaine) avait mis des sacoches de chaque côté de sa selle. Au premier galop, ces sacoches tapent sur les flancs de son cheval qui part en coups de cul et sa cavalière se retrouve à terre… Dans quelle galère avions nous mis les pieds ?
La suite sera des confettis de souvenirs. D’autant que nous avons fait plusieurs randonnées et, comme dit plus haut, les souvenirs se mélangent. Mais je n’oublierai pas ma première soirée. D’abord, l’étape. Le soleil, les fleurs, les parfums, les oiseaux, la longue marche des chevaux les uns derrière les autres, sages ! ! ! Puis l’arrivée à l’étape et les tâches de chacun. Ranger les selles. Faire le parc des chevaux. Trouver du bois pour le feu. Nous étions affamés et fatigués : cette première chevauchée avait été riche en émotions de toute sortes, en angoisses surmontées et en échanges chaleureux entre cavaliers. Les intendants en camionnette étaient novices et géraient leur budget pour la première fois. Le premier menu du soir n’était pas bien riche : c’est le sentiment que nous en avons gardé… Notre intendante s’appelait Caroline. Par dépit, Padraig l’a appelée Calorine tout le reste du voyage !
Ensuite, un brin de toilette s'impose. Certains habitués courageux et aguerris vont à la rivière et s’y plongent avec délice… Camille et moi, timides et pudiques, décidons de prendre nos affaires de toilette et de partir très loin, dans le pré, en suivant un petit ruisseau. Quand nous nous jugeons à distance raisonnable du groupe, nous trempons notre gant de toilette dans ce tout petit ruisseau serpentant au milieu de cette très jolie prairie de Lozère. Et nous le ressortons… vert : de vase et de lentilles d’eau ! ! ! Impossible de se laver là. Il a donc fallu ravaler notre pudeur et aller avec tout le monde, près de la rivière. La première toilette, hors d’une salle de bain, fut sommaire.
Après préparation du repas, toilette et soins aux chevaux, il fallait installer son sac de bivouac pour dormir. Et trouver le coin adéquat, assez plat, sans cailloux, isolé mais pas trop, loin d’une fourmilière… Ce que je ne savais pas, c’est qu’il faut tester, avant la nuit… Et comme je n’aime pas partager ma couche avec des invités indésirables, j’ai installé le duvet dans le sac de bivouac, fermé soigneusement avec quelques pierres le sac de bivouac et arrosé de citronnelle tout le tour de mon "lit".
Quelle nuit… D’abord, un peu de citronnelle, ça va, mais trop, c’est vraiment trop. Ensuite, les cailloux ont une fâcheuse tendance à remonter dans votre dos, alors que vous pensiez les avoir soigneusement enlevés. Et, au sud de la Loire, mais à 1300 mètres d’altitude, même au mois de mai, il GELE ! ! ! Déjà, dans la nuit, il a fallu trouver un "chiffon" quelconque pour se protéger la tête. Au petit matin, tout était recouvert d’une fine couche de gelée blanche… dont les vêtements soigneusement pliés à coté de nous…
Fatigués, mal réveillés, nous avons dû enfiler des vêtements froids et se dépêcher pour aller donner les musettes à nos chevaux, eux bien réveillés. Et allumer le feu pour faire le café !
Enfin revigorés, nous décidons de lever le camp. Mais c’était sans compter sur Jonquille… Je pense que le cavalier Allemand qui la montait, savait… Il est donc parti seul, une musette dans la main droite, bien devant, et les rennes dans la main gauche, bien cachées derrière le dos ! Et nous autres, cavaliers plus chanceux, faisions semblant de vaquer à des occupations très tranquilles. Et dans la fraicheur matinale, nous entendions cet appel émouvant : JJJONKIL… JJJONKIL…. Et Jonquille, l'œil en coin, broutait tranquillement, en s’éloignant subrepticement de son cavalier dont elle savait bien les intentions ! Ce jour-là, ça a fini par marcher. Mais un matin il a fallu que la quinzaine de cavaliers se donne la main pour entourer Jonquille et la "coincer" ! Une fois "en main", elle était adorable !
Deuxième jour, nous nous enfonçons dans la Lozère profonde. Sous le soleil. Malgré les avertissements, "Monsieur Je sais tout" refuse la crème solaire sur les bras. Ce n’est pas viril… Manches retroussées aux coudes (il faisait très beau) il passe sa journée à chevaucher. Pendant que les autres ont chaud aussi, mais ont les bras couverts ! Heureusement, il y avait un médecin parmi nous. Car le soir, à la veillée, le coup de soleil de Padraig s’était transformé en une gigantesque cloque.
Comme tous les soirs, nous installons notre camp. Nous nous occupons de nos chevaux, de notre feu et de nos couchages. Après diner, dans un lieu très encaissé et entouré de forêts profondes, c'est la veillée avec Anne, autour d’un feu de bois. Et Anne, qui a des talents de conteur extraordinaires, nous raconte l’histoire de la bête du Gévaudan ! Plus tard, bien qu’adultes "rationnels", couchés seuls dans nos sacs de bivouac, nous écoutons chaque bruit inquiétant, en essayant d’analyser s'il s'agit des chevaux ou d'un intrus ! ! !
Troisième jour. Nous prenons confiance et Anne a jugé son petit groupe. Nous la suivons donc dans ces paysages superbes. Et nous papotons entre cavaliers. Et nous nous reposons en mettant les jambes sur les quartiers de selle. Et la rêne passée dans le bras, une main tient le pot de crème et l’autre applique… Anne nous observait et soudain démarre un galop ! Paniiiique ! Le pot de crème dans le corsage, on rechausse les étriers, on reprend les rênes et on savoure ce galop en suspension dans une belle allée forestière. Et quelle n'est pas notre surprise de voir, dans un pré voisin, une jument en liberté avec son poulain, nous faire un "brin de conduite" ! Mais j’avais un cheval extraordinaire, jamais stressé, jamais pressé et indifférent aux sollicitations. Pour lui, cette randonnée était tout d’abord une ballade de santé et chaque jeune pousse ou brin d’herbe le tentait.
Quatrième jour. Les nuits se passaient mieux. Les cailloux restaient loin du couchage. Les vêtements enlevés restaient au chaud dans le sac de bivouac. Une serviette de toilette faisait office de bonnet. Mais, faute d’expérience, dans notre bagage, vêtements propres et vêtements sales se côtoyaient et absolument TOUT, sentait le cheval ! Ce matin-là, Anne nous dit : nous allons aller galoper sur le Mont Lozère. Certains chevaux connaissaient ; pas nous ! ! ! Nous grimpons au milieu des genêts en fleur, des senteurs d’herbes aromatiques. Sublime. Nous arrivons sur un plateau et là, Anne nous demande de nous arrêter et de nous mettre en ligne. Elle est devant nous et face à nous pour être sûre que les consignes sont bien respectées et soudain Camisard amorce un demi-tour sur les postérieurs et c'est le départ au galop ! J’avais l’habitude des chevaux de manège, qui ont toujours des comptes à régler et sont peu aimables. J’avais pris confiance dans nos chevaux de randonnée, au pied sûr et au caractère social. Mais là, l’esprit de compétition a pris le dessus et malgré la demande d'Anne de ne pas la dépasser, certains d'entre eux ont décidé de se défouler. Cette quinzaine de chevaux, presque en ligne, presque libres, au milieu d’une nature si belle, c’était un moment magique. Et Anne n’est pas arrivée la première !
Et que dire de la pelle… En novices urbains, nous nous demandions bien pourquoi, dans la camionnette, il y avait une pelle pliante. On ne se voyait pas s’embourber dans les sables du désert. Alors quand on a vu, au petit matin, un cavalier partir avec elle en s’enfonçant dans les bois, on a compris ! Toute cette vie sauvage était bien loin de nos habitudes confortables. Enfant, j’avais vécu des vacances à la campagne, en Ardèche et les toilettes, c’était les vignes à côté de la maison. Je m’y sentais revenir !
Enfin, dernier soir de bivouac. Nous avions eu froid au petit matin, mais jamais de pluie. Quelle chance, nous disions-nous, quand une de nos compagnes nous racontait qu’elle avait fait une transhumance en octobre et qu’il avait plu tous les jours. Qu’elle s’arrêtait pour vider ses bottes. Que jour et nuit, elle enfilait des vêtements mouillés. Que chaque soir, elle montait le marabout dont par chance, nous n'avons jamais eu besoin et qui nous paraissait extrêmement exotique… Et qu’il fallait parfois faire demi-tour pour aller rechercher un cheval qui avait décidé de gambader hors du groupe … OUF ! Donc, ce dernier soir de bivouac, Calorine décide de mettre les petits plats dans les grands (le budget serré au début, le permettait !), et nous fait goulasch et profiteroles ! Bien sûr on s’est régalés. Mais ce soir-là, le tour de vaisselle revenait à Padraig (la vaisselle se faisait le matin, au jour). La vengeance de Calorine eut lieu à ce moment-là : le goulasch avait attaché dans le plat et dans les assiettes et nos deux compagnons préposés à la vaisselle durent user d’huile de coude plus que tous les autres. (Il faut dire que l’un des premiers achats de Padraig, installé chez lui, avait été un lave-vaisselle : inutile de perdre du temps à faire ce qu’une machine fait mieux que vous !)
Comme pour nous dire que la parenthèse se terminait, le retour à l'Habitarelle se fit sous quelques gouttes de pluie. Nous avons commencé par ranger nos selles et les plus courageux montèrent leur cheval à cru pour les raccompagner au pré. Dernier contact "peau à peau" avec ce compagnon à qui nous devions tant d’aventures. Puis, enfin, nous pouvions prendre une douche ! Et il était étonnant de remarquer que la vapeur qui sortait des douches sentait encore le cheval ! Dernière nuit dans la grange, dans la paille, avec sac de couchage. C’était la douce transition entre la randonnée et notre retour vers la vie urbaine !
Nous savions que nous recommencerions. Nous savions que nous y emmènerions nos filles. Et si une chute malencontreuse, avec fracture de la malléole n’avait pas contrarié nos projets, nous aurions fait partager ces moments délicieux à notre petite fille, passionnée de chevaux !
Pour aujourd’hui …
F. I. N.!
Brunehilde Avril 2014


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