Une nouvelle éditée pour répondre à un commentaire anonyme sur « Robert et Jack »... Laquelle nouvelle il est conseillé de lire AVANT.
Je ne saurai jamais combien Jack compte
de printemps. Vingt, trente, l'éternité ? Moi qui suis un pigeon, j'ai du mal à évaluer. Mais il est grand et costaud. Et comme il a sur la
tête une forêt argentée (un vrai nid douillet), j'en conclus qu'il
devait déjà savoir marcher quand l'arrière grand-mère de ma
grand-mère testait ses ailes pour la première fois.
Son ventre est bizarre : il change
de couleur tous les jours : rouge, bleu, vert, noir. Ça dépend du
temps qu'il fait et si c'est la saison des amours... ou pas.
Jack est un Deux Bras de la famille des Humanoïdes, communément appelés « Humains ».
« Ne t'approche pas des Humains.
Sois prudent et réservé. (A moins d'habiter à Venise, là, tu
seras photographié et tu deviendras célèbre). »
« Les Humains vivent dans des nids clos,
mais, à la belle saison, ils envahissent nos rues, nos trottoirs et nos garde-mangers. »
« Nous leur avons sauvé la vie
bien des fois. Honore la légende de Vaillant (matricule757.15), de
GI Joe, de Mary, de Princess (qui a parcouru huit cents kilomètres
au dessus de la mer pour livrer son message.) »
« A l'époque, puisqu'ils
dépendaient de NOUS, ils nous choyaient, nous décernaient des
médailles, nous élevaient même des monuments. »
« Mais maintenant, ils nous
tirent dessus à la carabine. (Ça
s'appelle : le tir aux
pigeons). »
« Méfie-toi de leurs choses
roulantes, elles ne nous évitent pas, elles n'ont qu'une envie :
nous écraser. »
« Garde toi également de
L'ENNEMI PUBLIC NUMERO UN. (LEPN un). Ils en élèvent... »
« Enfin, si tu vois par terre un
appétissant grain rouge, NE LE MANGE PAS. C'est une de leurs ruses
mortelles. Souviens toi de la lente agonie de ta grand-tante. »
(Tradition orale pigeonnesque, dite
« de la couvée ».)
Mais Jack n'est pas un Humain comme les
autres. Jack en pince pour moi.
Jack ne m'attire pas avec du blé
empoisonné. Il veut juste élargir mon régime alimentaire.
L'autre jour, je grappillais devant
chez moi ( chez lui?) mon ordinaire quotidien.
Il s'est assis sur notre banc, sa
pitance à la main.
Il s'est approché.
J'ai reculé. (cf tradition orale pigeonnesque, Article Un).
J'ai reculé. (cf tradition orale pigeonnesque, Article Un).
Il a posé du riz devant le réverbère.
C'était du riz cuit, pas
génial, mais, pour ne pas le vexer, j'en ai picoré un peu.
Il m'a regardé.
D'habitude, on NE SOUTIENT PAS le
regard d'un humain. Il y a toujours au fond quelque jeu débile en
gestation, ou une image de nous avec des petits pois.
Mais là, j'ai VRAIMENT compris que
Jack se demandait SEULEMENT ce que j'aimerais manger.
Il m'a lancé un machin bizarre, orange
et blanc, qui sentait le poisson.
Goûteux.
« Surimi », qu'il m'a dit.
Je l'ai avalé avec frénésie. Ça me
changeait de ma bouillie de poussière-aux-miettes.
Un deuxième morceau : gobé.
Un troisième : pareillement.
C'est super bon, en fait, « le surimi ».
Pourtant, moi, je ne suis pas une
mouette, même si j'en fréquente de super-sympas. (D'ailleurs, il ne faut pas que j'oublie de leur dire, à l'occasion, que j'ai goûté un de leurs trucs...)
En attendant, je bats des ailes, je me
rengorge. J'essaie de parler le pigeon-accessible-aux-humains.
Ça me plairait bien, d'avoir un
garde-manger fixe.
Et en plus, bientôt, il faudra que je
fasse mon nid.
Pourquoi Jack est-il si gentil avec
moi ?
Essaierait-il de M'APPRIVOISER ?
(Apprivoiser, c'est un mot que j'ai
appris « de la couvée ». Ça veut dire : dépendre
d'un humain pour les graines, certes à volonté. Mais ça signifie
aussi, à plus ou moins long terme, être enfermé.)
Je ne suis pas enfermable. Je ne suis
pas un pigeon de pigeonnier.
C'est pourquoi je fais mon possible pour que Jack comprenne
que je l'aime bien, que j'apprécie sa bouffe étrange, mais que
c'est important que je garde mes distances.
Le problème, c'est que j'adorerais
m'installer ici.
En centre ville, c'est surpeuplé. Le
clocher, les vieilles ruelles, l'abord des fontaines : trop
connu et hors de prix. Faut jouer des griffes pour les avoir.
Moi, j'ai besoin de calme. C'est pour
ça que je suis monté à la limite du village, entre maisons et
collines.
Ça y est, Jack sort en
« tenue-de-saison-des-amours » : un peu timide, le
ventre noir, le nid sur la tête bien lustré et une odeur infernale qui
le précède et le suit. Ça doit avoir un rapport avec les bruits
aquatiques que j'ai entendus tout-à-l'heure. Car les humains ne se
lavent pas comme nous, discrètement, dans une flaque d'eau froide.
Ils « prennent une douche ». Et ils chantent
dessous. (C'est d'ailleurs seulement là qu'ils chantent.)
Donc, voilà mon pourvoyeur préféré
qui s'en va roucouler en ville.
Merde.
Qu'est ce que je vais faire de L'ENNEMI
PUBLIC NUMERO UN (LEPN un) ?
« LEPN un » est noir et
blanc, monstrueux, tout-en-griffes et tout-en-dents. C'est son chat.
Qui attire la presque totalité des mistigris du voisinage. Les mâles,
pour se battre, les femelles, pour...
Vous imaginez ? Un pigeon tout seul, de
surcroît immigré, face à une bande de félins ? Non... vous
ne pouvez pas. (Sauf si vous avez déjà eu un tigre à vos
trousses.)
Ils vont me traquer, m'acculer, vouloir
ma tête.
Pourtant, ils ont des croquettes.
(L'autre soir, j'ai vu Jack verser les
dites boulettes vers son nid clos pour y attirer mon cauchemar. Après, il a laissé un chemin de surimi vers mon réverbère.)
C'était plutôt sympa, ça partait
d'une bonne intention. Mais, à votre avis, qu'est-ce qu'ils ont
englouti en premier, ces sauvages ?
MON SURIMI.
Je n'ai plus qu'à attendre, perché très
haut et le ventre vide.
Onze heures : le retour. Avec sa
gazelle préférée. (Gazelle, c'est le nom que les humains donnent
souvent à leurs pigeonnes, moi, je trouve ça joli.)
Cette gazelle là, je la chéris.
Demain matin, je vais avoir droit à
des petits bouts exquis, divers et colorés.
En plus, elle essaye de parler pigeon.
« Roûûûû.... Roûûûû....
Roûûûû » qu'elle fait.
Elle n'a pas vraiment l'accent, mais ça
rosit ses joues et fait gonfler son soutien-gorge. J'apprécie l'ambiance, (je me mets à la place de Jack).
Moi aussi, j'ai besoin qu'on me fasse la cour. Moi aussi, j'aime ma moitié de pomme...
Moi aussi, j'ai besoin qu'on me fasse la cour. Moi aussi, j'aime ma moitié de pomme...
C'est là que j'ai eu le déclic :
malgré « LEPN un », nous ferons notre nid ici.
Près de la cheminée.
Là, nos œufs seront aimés.
J'espère que mon époux sera d'accord...
J'espère que mon époux sera d'accord...
Car, je crois que vous l'avez deviné, je ne suis pas un pigeon, je suis une pigeonne.
Et mon petit nom, ce n'est pas Robert,
c'est Julia.
Ps : Si vous voulez des
renseignements sur les pigeons-soldats, vous pouvez aller sur :
« Pigeons voyageurs de l'armée
française. Wikipedia »
Mais surtour sur « Les pigeons
pendant la guerre de 39-45-cousin-free »
Méconnu, édifiant et bouleversant.
Maintenant, quand vous traiterez
quelqu'un de « pigeon », ce sera un compliment.
Robert, Julia, jack et demi pomme te remercie t es une bien belle conteuse la plume.
RépondreSupprimerBien voilà, la version de la " bête à plumes " est arrivée. N'est-ce-pas qu'elle est humaine à l'image de celles publiées par de grands écrivains, dont c'était le métier ... Nais , tu es leur semblable, bravo.
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