RESEAU

jeudi 5 juin 2014

The D-Day... la suite...

Une belle histoire de circonstance... glanée sur Valenton L'AREV, souvenirs d'enfance.
 
Pour vous situer : Valenton est une commune de la région parisienne, limitrophe de Villeneuve-saint-Georges, à l'époque l'un des plus importants centre SNCF de triage de France. Bien entendu sous occupation allemande. Que les alliés pleins de bonnes intentions pilonnaient avec conscience et méthode.
Suzanne avait six ans en quarante-quatre.
Elle nous livre ce témoignage unique, drôle et bouleversant : les bombardements, la guerre et l'arrivée des chars amis.


Une petite fille à Valenton entre 1944 et 1948

Mes plus vieux souvenirs se rattachent à l’année 1944. Cette année-là, les avions anglais bombardaient la gare de triage de Villeneuve St Georges … et …Valenton n’était pas loin.
Papa avait construit un abri souterrain dans le fond du jardin…
Je me souviens du hurlement des sirènes en pleine nuit et de la précipitation de mes parents qui nous prenaient tout endormies, ma sœur et moi pour aller passer le temps de l’alerte dans l’abri. Mes parents couraient jusqu’au fond du jardin en nous portant dans leurs bras. J’étais trop petite pour avoir peur. Par-dessus l’épaule de Papa, je trouvais même que le ciel était joli, tout parcouru de fusées éclairantes.
Puis, nous arrivions dans l’abri froid et humide où l’eau suintait le long des murs. Mes parents allumaient la lampe à carbure d’acétylène et, dans cette espèce de tombeau, nous attendions. Quelquefois, quand ils en avaient le temps, des voisins nous rejoignaient.
Le silence oppressant était traversé de sifflements et de gros bruits sourds : celui des bombes qui tombaient alentour. Lorsque l’impact était proche, le sol et les murs de l’abri tremblaient.
Mais, il arrivait que le début des bombardements commence dès l’appel des sirènes. Nous n’avions pas le temps alors d’aller jusqu’à l’abri. Nous étions obligés de rester terrés dans le sous-sol de la maison où séjournaient chacun dans son box, un porc et une chèvre : ces animaux constituaient un moyen de survie à l’époque !
Pendant tout le temps du bombardement, à chaque bombe qui tombait, la chèvre se cabrait et le cochon émettait un grognement. Ces bruits insolites les perturbaient !! N’ayant aucune crainte, je m’amusais de leurs réactions. Mes parents devaient m’y inciter. Ils avaient certainement jugé inutile de me faire partager leurs angoisses et préféraient me procurer un amusement.
Lorsque les sirènes nous avertissaient que l’attaque était terminée… nous remontions dans la maison pour nous habiller correctement et nous sortions dans la rue pour voir ce qu’il était advenu des maisons de Valenton.
Tout comme nous, tous les habitants étaient dehors avec des lampes ou des bougies et nous parcourions les rues, nous arrêtant devant les maisons éventrées, les trous béants…
Je me souviens de la maison du 9ter de la rue du colonel Fabien qui s’appelait la « Grande rue » à l’époque : le premier étage était encore en place alors qu’il n’y avait plus que la moitié du rez de chaussée … l’étage tenait par miracle … mais le lendemain matin, tout était effondré (comme pour les twin towers !). Je me souviens aussi d’un grand trou dans la cour du château Cherrier (chez les docteurs Borie à présent). Je revois aussi les ruines de la maison de la famille Pennink, dans la rue Vincent Bureau, le pavillon « troué » sur le côté, au 7 de la rue Gabriel Péri qui s’appelait alors « route de Brévannes ».
Et pour les Valentonnais de Pompadour le spectacle de désolation devait être bien pire !! Après cette visite nocturne de notre village, nous retournions nous coucher et nous finissions la nuit, « bercés » par le sifflement émis par les chaudières des locomotives du triage qui avaient été percées par des éclats et dont la vapeur s’échappait pendant des heures …
Lorsque les bombardements se produisaient dans la journée et que j’étais à l’école, la maîtresse nous emmenait dans les sous-sols de la mairie actuelle avec nos ardoises et nos stylo-mines et je me rappelle les leçons de calcul dans ce « boyau » mal éclairé.
Mais là, comme à la maison, la peur n’existait pas. Tout cela faisait partie du quotidien ! A cette époque de restrictions, il fallait se débrouiller pour ne pas manquer de nourriture. A part la chèvre et le cochon, nous avions aussi des poules, des lapins, des pigeons, comme la plupart des habitants de Valenton.
Le soir après l’école, je « faisais » de l’herbe pour les lapins avec Maman, je coupais des betteraves en rondelles à l’aide d’une machine spéciale dont je devais tourner la manivelle.
Comme on manquait de tout, il fallait faire des réserves. Mes parents allaient chercher dans le Loiret, des pommes de terre, par sacs de 50 kg. (Ils utilisaient le train et le vélo pour cela !)… et moi, souvent, le jeudi -jour de congé en ce temps-là-, j’avais à dégermer les pommes de terre !... qui regermaient tout le temps : ça c’était fastidieux ! Par ailleurs, Papa avait confectionné un « brûloir à café », un cylindre de métal installé dans un support qui se fixait à la place des « ronds » de la cuisinière.
On mettait de l’orge dans ce cylindre de fer, je tournais, là encore, une manivelle, et, doucement, l’orge se torréfiait ; bien sûr, cet orge grillé était destiné à remplacer le café !
A la même époque les garçons qui voulaient avoir l’air « grands » fumaient de la barbe de maïs -qu’ils prélevaient sur les épis- et de l’armoise ! Chacun se débrouillait pour ce qui le préoccupait !
A l’école, vers 10 h du matin, la fermière de la ferme Corlou venait avec deux grands bidons de lait bouillant. Nous sortions nos timbales de nos cartables et nous buvions notre lait. Plus tard à la sortie de l’après-midi, nous recevions des petits gâteaux ronds. Je me souviens qu’il était dit que ces gâteaux contenaient de la vitamine A. Je ne la voyais pas cette vitamine mais ces biscuits avaient quelque chose de magique. A la maison, on ne parlait pas de vitamine A !!

En 1945, l’école des filles, pour le préparatoire, se faisait dans un château datant du Premier Empire et qui n’existe plus maintenant. Il donnait sur l’actuelle rue Roger Salengro. Ce château, très beau, avec les caractéristiques de son époque de construction : fronton triangulaire, belle enfilade de fenêtres, moulures et sculptures élégantes, ne convenait pas très bien pour les classes ; les fenêtres fermaient mal et il y avait de grands jours sous les portes… Malgré le poêle, il y faisait très froid durant la mauvaise saison. Aussi la Mairie avait-elle décidé de nous faire quitter les lieux l’hiver. Nous allions alors dans l’école des garçons située derrière la bibliothèque actuelle. Durant une semaine, nous avions classe le matin -de 8 h à 12 h 30 et les garçons prenaient possession des lieux de 12 h 30 à 17 h. La semaine suivante, c’était le contraire !

A la récréation, nos jeux reflétaient l’époque que nous vivions. Je me souviens… nous jouions aux bombardements !!!

Des filles couraient à toute vitesse en écartant les bras, en « virant » sur l’aile et en imitant le bruit des moteurs : elles étaient des avions et elles étaient censées envoyer des bombes. D’autres filles étaient des mères avec des enfants et devaient protéger leur progéniture en trouvant des cachettes – le long d’un muret, dans un recoin, derrière un arbre …c’était la fuite éperdue pour trouver un abri ; il fallait à tout prix ne pas être sous celles qui faisaient les avions ! Les enfants s’impliquent très fort dans leur jeu. Je crois que c’est là, alors que j’incarnais le personnage d’une mère avec ses enfants que j’ai ressenti réellement, pour la première fois de ma vie, la charge émotionnelle que représente la responsabilité. Encore aujourd’hui, quand je me remémore ce jeu, je sens à quel point il m’a marquée (-Peut-être que, sans le chercher, je me projetais brusquement à la place de mes parents !)
Les enfants des guerres ont tous des souvenirs appropriés aux circonstances. Ma maman qui a vécu ses années de petite fille lors de la 1ère guerre mondiale, racontait qu’elle apprenait à sa poupée à marcher sur une jambe afin qu’elle soit prête à affronter la vie lorsqu’elle en aurait perdu une !!!
Mais il y a, pour l’époque, un souvenir radieux, celui du jour où les chars « américains » sont arrivés (venant de Brévannes), et sont passés devant la maison.
En attendant ce jour, Maman avait préparé les quatre drapeaux -ceux de la France, de la Grande Bretagne, des Etats-Unis et de l’URSS. Pour cela, elle avait teint des draps, découpé ensuite les étoffes afin de confectionner toutes les « zébrures » de l’anglais, toutes les étoiles de celui des Etats-Unis, la faucille et le marteau du drapeau soviétique –ce fut un travail considérable- préparé longtemps à l’avance … mais en se cachant bien sûr car l’Allemand était encore là malgré l’espoir.
Enfin le grand jour est arrivé !!
Les drapeaux étaient aux fenêtres.
Nous attendions le passage des chars, alignés sur le bas-côté de la route. Ils ont ralenti en arrivant à notre hauteur …
Maman m’avait donné un bouquet de fleurs. Un char s’est arrêté, un soldat est descendu, je lui ai tendu mon bouquet, il m’a prise dans ses bras et m’a fait monter sur le char qui a roulé sur quelques mètres … Imaginez mon émotion et ma fierté !! … puis le soldat m’a redescendue et m’a donné du chewing-gum : je n’en avais, bien sûr, jamais mangé auparavant.
Quelquefois, il y avait « classe-promenade ». Nous allions en rangs bien alignés jusqu’au bois de la Grange où la maîtresse nous demandait de ramasser des glands. Toutes nos récoltes étaient regroupées au retour et je crois que l’ensemble était donné à une ferme pour nourrir les cochons.
Après la classe préparatoire, nous descendions Rue des Ecoles où se trouvaient les cours élémentaires 1 et 2 et les cours moyens 1 et 2. Là encore, un poêle au milieu de la classe que la maîtresse alimentait tout au long de la journée. C’est dans la classe de Madame Alexandre, alors que j’étais au CM1 que s’est produit pour moi quelque chose de féerique. Je revois encore la scène comme si c’était hier.
Madame Alexandre avait un don de pédagogie extraordinaire, d’une part, et savait, par ailleurs, profiter d’une occasion imprévue pour nous intéresser …. Un jour de l’hiver 1947, alors que la neige recouvrait en abondance tout le paysage, Madame Alexandre a eu l’idée géniale d’emmener toute la classe dans le jardin des instituteurs attenant à l’école. Il y avait là une brouette complètement recouverte de neige.
En cercle autour de la brouette, nous avons été fascinées par la dextérité avec laquelle notre maîtresse a utilisé le support pour faire surgir sous nos yeux, une carte en relief. Avec ses mains, dans l’épaisseur de la neige, elle a façonné toute la cuvette du Bassin Parisien depuis les collines de Normandie jusqu’aux côtes de Champagne … avec la Seine et ses méandres dans le fond de la cuvette ; c’était la première fois que je voyais la géographie apparaître, s’élever en relief sous mes yeux ! Ce cours, gravé à jamais dans ma mémoire a provoqué en moi la même émotion que celle que j’ai ressentie la première fois que j’ai pris l’avion et a, certainement contribué à me donner la passion de la géographie !!
Pour recréer tout à fait l’atmosphère de l’époque, je dois dire aussi que, pour moi qui habitais au bas de la côte, j’avais à monter la Grande rue pour me rendre à l’école et, bien souvent, l’heure du début de la classe du matin coïncidait avec la sortie du troupeau de moutons de la ferme Foucher -troupeau qui allait paître sur les étendues herbeuses du plateau-, et nous cheminions, nous, ceux du bas de la côte, au rythme de la montée du troupeau, berger en tête, chiens sur les côtés ; les moutons occupaient toute la largeur de la rue, il était impossible de les dépasser !
Comment imaginer cela maintenant que la Grande rue est envahie par un flot ininterrompu de voitures ?
Et certains nouveaux Valentonnais se demandent peut-être pourquoi leur résidence s’appelle « La Bergerie » ?
Voilà … ces quelques souvenirs ont pour but, comme je l’ai dit plus haut, de recréer une atmosphère, celle des années de fin guerre et d’après-guerre où l’on faisait ce que l’on pouvait pour vivre et se nourrir normalement où l’on étudiait sans moyens sophistiqués, mais de ces années-là, laborieuses c’est sûr, mais enrichissantes, je garde un bon souvenir. Elles m’ont certainement donné le goût du travail bien fait et la certitude que rien n’arrive sans se donner du mal.

Suzanne Quinet.

Publié avec l'accord de l'auteur.

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