« Y a des abeilles !... Y a
des abeilles !... »
Devant la fenêtre du proviseur.
« Y a des abeilles !... Y a
des abeilles !... »
Qui bourdonnent dur.
L'essaim complet, la reine, les
suivantes, les sujets et les fous de la reine, ceux qui ont du poil
aux pattes.
« Venez voir !... Venez
voir !... C'est pas croyable ! »
On vient. Monsieur Feldmann en tête,
le prof de maths. L'innocent, magnifique et bienheureux fautif de
l'histoire. Monsieur Feldmann aime les abeilles. Les abeilles aiment
monsieur Feldmann. Elles ont dû lui faire le coup de « Lassie,
chien fidèle. »
Il a des ruches pas très loin,
amoureusement couvées, dans la mini-clairière d'un
minuscule bois de la région parisienne.
Ça fait deux ans qu'il fait visiter à
ceux qui veulent, ceux qui n'ont pas peur d'enfiler la cagoule
grillagée. ( Please, ne pas enfermer de bestiole dedans, ça rend
dingue la bestiole et vous...)
Ça fait deux ans qu'on se dit que ça
va bien essaimer un jour, que le miracle est pour bientôt.
Dieu est Grand. Il a déversé son œil
divin sur notre lycée, en ce jour mémorable de printemps.
On piétine allègrement LA PELOUSE
INTERDITE, on laisse les petites pattes amicales et besogneuses nous
butiner les bras. On les tend, même. Ça chatouille et c'est doux.
Une vie d'avant la vie ou d'après la vie, qui nous remplit de
bonheur et de l'esprit des fleurs.
« Regardez, y en a un autre (
d'essaim), dans le saule pleureur... !»
Ça fait deux. A trois mètres des
fenêtres.
Oh, joie, béatitude, allégresse,
reconnaissance éternelle.
J'AIME PAS LE PROVISEUR
Il a verrouillé ses doubles-vitrages
et a disparu de la cartographie estudiantine.
Je me laisse délicieusement
polliniser. C'est bien fait pour lui.
Février dernier, Le Grand Jour, en
cours de maths. Visite du grand-homme: il faut remplir les
formulaires pour l'examen.
Ecrire au stylo noir, une lettre par
case, ne pas se tromper, ne pas raturer, coller les timbres dans
l'ordre, ne pas parler... ne plus respirer... La radiographie de nos calligraphies
juvéniles pour L'Inspection Académique.
J'ai pas de timbres. Ou plutôt j'en ai
trop. Hier soir, avec ma mère, on a fait les fonds de tiroir :
quinze trucs dentelés pour faire l'appoint. Ça rentre pas dans
l'enveloppe. Ou alors on peut plus mettre l'adresse.
Je lève un doigt timide.
Abnégation respectueuse de bibi.
Silence et fin de non-recevoir de
l'interlocuteur.
Je donne du relief à mon SOS, fait
pointer et virevolter mon doigt au-dessus de la tête des copines.
La flèche atteint son but.
« OUIIII !
- Je les mets où, les timbres ?... »
J'aurais jamais du dire ça. J'aurais
du expliquer par A plus B que le carré de l'enveloppe étant
inférieur à l'hypoténuse de la racine des timbres, ça pouvait pas
le faire.
Foudroiement hiérarchique.
Je me ratatine sur ma chaise taguée.
« C'est pas parce que VOUS avez
des problèmes,( !!!??? ) qu'il faut m'interrompre avec vos
questions sans questionnement ! »
Quels problèmes ? Je suis, jusqu'
à ce jour la plus docile et la presque meilleure élève du lycée.
Celle qu'on projette pour le Concours général...
« Vous nous emmerdez ( oui, il
l'a dit), vous nous cassez les pieds ! »
De pierre ou de plomb qu'il était. Jules César devant un rebelle insoumis.
« Je sais, Monsieur le
proviseur... mais...
- Collez vous les timbres sur le
nez ! »
La réponse n'était pas dénuée
d'intérêt politique, mais, moi, je voulais savoir. C'était mon
bac, quand même.
« J'aurais besoin de votre
avis....
- Vous me faites ch..r ! »
Repliement, concentration... explosion. Des décennies de bons et loyaux services pour rien. Il avait bien vu que c'était pas de l'insolence, il avait pas à me parler comme ça :
« Allez vous faire voir !...
allez vous faire voire !...Espèce de ( je le dirai pas) »
Silence intersidéral dans la classe.
Même la mouche qui volait sur le chignon de ma pote s'est arrêtée.
Je tripote le stratifié de ma table en
attendant La Justice Divine.
Qui suspend son vol.... Qui ne tombe pas.
Finalement, j'ai collé mes timbres à la
queue-leu-leu en superposant beaucoup, j'ai écrit tout petit, j'ai attendu la sonnerie et je
suis descendue, derrière le proviseur. Qui s'est pris la porte battante. Quatre marches du préfa
jusqu'à la cour, je me rappellerai toujours.
J'étais virée.
Le lendemain, à la grille... ( j'avais
rien dit à mes parents), l'effervescence :
« On est en train de te faire une
pétition... on est en train de te faire une pétition !... »
C'était trop BO.
« Tout le monde signe, y a même des profs ! »
Magique.
J'ai pas été virée.
J'ai pas été virée.
Mais la vengeance est un plat qui se
mange froid.
Le jour de l'oral de français, y avait
pas de jury. Grève nationale. On se pointait toutes les deux heures,
pour savoir où ça en était. On m'a envoyée
en délégation voir « le supérieur ».
Qui ne m'a pas ouvert la porte vitrée : la guerre. Le retour de la pétition et des hyménoptères.
J'ai parlementé pendant un
quart-d'heure avec un homme de la mer dans son scaphandre.
J'ai pas eu vraiment de réponse, si ce
n'est... «... Les directives nationales... »
Finalement, un jury a été tiré de
ses bienheureuses vacances. Des profs de latin-grec, un peu dépaysés.
On a eu des bonnes notes.
Vive les abeilles !
vive les abeilles et vive le miel :-)
RépondreSupprimerVéridique ? ça alors ! Je connaissais l'existence du rucher ...
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