RESEAU

lundi 5 mai 2014

Flirt-thérapie pour flirt-maniaque

Chaque fois qu'elle tombe amoureuse, elle va à l'hôpital, chaque fois qu'elle va à l'hôpital, elle tombe amoureuse. Un TOC, une addiction pathogène.
Comment on écrit « hôpital » à l'envers ?... « latipoh »... ça donne rien. « La typo ? », c'est mieux. « Là, type, oh... » C'est ça. Là, type, oh !
Un tantinet brinquebalée dans la Vraie Vie par son cœur d'artichaut qu'elle s'obstine à faire pousser dans du sable (le sable, c'est doux mais c'est glissant), elle tente, sous serre psychiatrique, une bouture dans le riche terreau des Mecs à Problèmes.
Problèmes plus problèmes égale no problems ?
On l'aperçoit, ici et là, dans les couloirs, dans le parc, sur le bout de goudron qui sert de terrasse... Elle cherche à se reconstruire. Elle s'investit dans l'humain.
Elle boycotte LES ACTIVITES, au grand dam des psys-bien-intentionnés-mais-à-l'ouest-sur-son-cas, elle est corps et âme dévouée à SON ACTIVITE : trouver un amoureux.
« Bonjour, je m'appelle Naïs...
- Bonjour, Naïs, moi c'est jean-Pierre.
-T'es là depuis combien de temps ? »
Comme elle vient juste d'être admise, elle prend ses marques avec LES ANCIENS. Jean-Pierre a toutes les apparences d'un ancien : il connaît le raccourci pour aller à la cafet, il a une bouilloire dans sa chambre avec de la Ricoré, il a mis au dessus de son lit un poster avec une forêt. Mais Jean-Pierre a soixante-cinq ans... il a peut-être des copains plus jeunes ?
« T'es là pour quoi ?
- Hallucinations, je vois des trucs...
- C'est qui ton psy ?
- Colombat.
- Moi, c'est Rivière. Il est bien Colombat ?"
Elle n'écoute pas vraiment la réponse, l'important c'est de poser la question. Le rituel de l'HP, un peu comme les chiens qui se reniflent le derrière.

L'homo hospitalus est le dernier avatar du système. Merveilleusement inutile. Ce n'est pas lui qui a inventé le-robot-qui-fait-tout ni la clope électronique : il ne crée pas le monde, il le quitte. Il a l'âme nomade et disponible.
« Bonjour, je m'appelle Naïs...
- Bonjour, moi c'est Thierry. »
Pas mal, Thierry. La quarantaine à peine, l'oeil mélancolique d'un épagneul qui a raté la bécasse et qu'on vient d'engueuler, il est là pour dépression.
« Comme moi ! »
C'est bien, la dépression, elle ça permet de poser des questions, de glaner, en douce, des petits bouts de vie...( avec les schizos, c'est plus difficile).

Elle apprend qu'il a un fils, qu'il avait une femme mais qu'ils ne sont plus ensemble, que c'est en train de foirer grave avec sa petite copine.
« Comme moi !... enfin, presque... Moi, c'est avec mon petit copain... Quoi que j'aime bien les filles aussi... »
Pourquoi elle dit ça à un type qu'elle connaît depuis cinq minutes ? Apparemment, il n'a pas relevé, elle continue :
« Tu viens d'arriver ? »
Maintenant, c'est elle, l'Ancienne. Elle n'a pas de bouilloire parce qu'elle habite trop loin mais elle a de la Ricoré qu'elle dilue avec l'eau chaude du robinet.
Il est entré hier, il est à trois chambres de la sienne, il n'a pas encore de psy.
Ils vont déjeuner ensemble à la cafet, ils jouent au Scrabble jusqu'à l'extinction des feux (elle aime pas le Scrabble mais elle le dit pas et le laisse gagner), ils s'apprivoisent.
« Tu viens à la sortie à la mer vendredi ?
- Je sais pas, j'ai pas de maillot...
- Tu mettra un short !
- j'ai pris dix kilos avec les médocs, j'ose pas trop...
- Pour pas grossir sous traitement, y a un truc infaillible : la Ricoré. Tu t'en enfiles un demi-litre juste avant le repas et après t'as plus faim. »

Puisqu'il est dans ses confidences, elle peut lui montrer son endroit secret. Elle a fait une cabane avec trois cailloux et quatre branches de pin, tout en haut du parc parce qu'y a pas de caméra.
Elle lui fait visiter... Pendant qu'elle y est, elle lui présente la clôture défoncée par où elle a voulu se sauver le premier jour. Elle lui montre aussi le haut de sa fesse gauche, avec une grande balafre : Le grillage.
Thierry zieute le grillage et le bout de peau, elle peut ranger sa fesse.
« Maintenant, t'as le droit de sortir ?
- Oui, depuis mardi dernier, et toi ?
- Pas encore, dans six jours... »
Y faut être sage pendant une semaine pour avoir le droit d'errer sans chaperon dans le Vrai Monde. Comme elle s'est tenue à carreau (ils ne l'ont pas chopée dans sa tentative d'évasion, elle est rentrée en rasant les murs à cause du pantalon déchiré), elle peut arpenter la colline. Elle a même une copine pute dans un camion à trois-cents mètres. Bien plus efficace que son psy et plus sexy.
« On va dans la cabane ?
- On va dans la cabane. »
Le règlement de la clinique stipule en GROS qu'il ne doit pas avoir de relations autres qu'amicales entre les patients. Le directeur doit penser qu'un bébé dépressif qui a des hallus, ça doit beaucoup pleurer la nuit... et qu'en plus y risque de l'avoir dans vingt ans...
Alors ils se cachent. Ils ont repéré les caméras et leurs angles morts, ont rajouté des pierres à leur château fort : ils ne veulent pas être punis de sortie à la mer.

LA SORTIE A LA MER. Quinze paumés diversement atteints qui s'ébattent, (en conditionnelle, y a quatre matons), sur les tables de pique-nique.
« Y reste du poulet ?
- Non, mais y a du Kiri et du Babybel. »
( Tu vas voir qu'on va nous demander de faire des bonhommes avec les croûtes de Babybel...)
On leur fait pas faire des bonhommes, mais y doivent se baigner « dans le périmètre », avec de l'eau jusqu'à la ceinture.
Dans le bus du retour, ils se font prendre, les mains en balade en dessous de la tablette.
Etages séparés, l'Oeil vous a à l'Oeil.
Elle a beau pleurer, supplier, démontrer par A plus B qu'elle a infiniment  plus besoin de Thierry que du psy, la direction est intraitable.

Du coup elle est repartie le lendemain, en stop et en train, « contre avis médical. »
Mais elle a revu Thierry, en liberté. La dernière fois, elle était tellement contente qu'elle a sauté d'un rocher de six mètres en criant :
« Je vais faire le saut de la mort ! ! ! »
Genou HS, ligaments pétés, obligé d'opérer.
Elle est rentrée à l'hôpital, elle a dragué son chirurgien.

4 commentaires: