Les étals obèses de la foire annuelle sont arrimés au bitume
entre les marques à la craie, comme les perles mal enfilées d'un
collier d'enfant : une nouille, un cœur,
un truc monstrueux en pâte Fimo, une nouille, un cœur,
trois poules blêmes et un violon tzigane.
J'ai pas un kopeck.
J'ai les poches légères.
A la loterie du distributeur, j'ai tiré
le mauvais numéro. La machine a clignoté en rouge : « Veuillez prendre contact avec votre
banque... vous pourrez recommencer l'opération ultérieurement... » Je crains que " l'ultérieurement " ne dure un certain temps.
Libre de visiter, sans arrières
pensées, le temple boursouflé
de la consommation.
Le Louvre de la ceinture en plastoc,
des colliers qui brillent, des canards en caoutchouc, de l'huile
d'olive bio et des tomes, (au choix : " de vache", " de brebis " ou " de montagne").
Des strings à deux balles, fluo et
japonisants, vibrent comme les cordes d'un violoncelle extatique sur
les fesses moulées d'un mannequin amputé, sans bras, sans jambes,
sans tête. La victoire de Samothrace militant pour le handicap libéré.
En fait, y a que le cul qui intéresse.
Celui du vendeur est pas mal. Le
tabouret gâche un peu la perspective mais on a le temps de zieuter :
il fume une clope.
Je me concentre en 3D
sur le jean délavé, imagine le string rose qu'il a peut-être dessous
et glousse.
« Vous
voulez des renseignements ?
- Nan, en fait,
c'est juste que je trouve vos produits très jolis...
- Vous faites
quelle taille ?
- La vôtre mais
je suis équipée...
- Vous êtes
sûre ?
- En général,
je sors jamais sans culotte... »
Un " complice."
Les
poulets rôtis se contorsionnent dans les flammes de l'enfer. Dorés
à n'en plus pouvoir, ils se languissent d'être mangés. Au
départ, ils désiraient être enterrés mais
on leur a proposé
l'incinération. Ils
trouvent maintenant que
c'est chaud et voudraient que ça s'arrête.
Je
peux pas m'empêcher de me
demander quel peut avoir été,
pour mériter la
damnation éternelle, le
terrifiant péché
d'un volatile de huit semaines.
J'aperçois les
cactus. Je tourne.
J'aime les
cactus. J'aime caresser leurs piquants, des fois, y en a des doux.
Je fais semblant
d'être intéressée :
« Elles
sont à combien, vos plantes ?
- Elles sont à
dix euros. »
J'en prends plein les doigts.
Le
mec qui les surveille trépigne
et me lance des regards
assassins.
« Vous en
voulez un ?
- Euh, non...
Euh, OUI, mais je repasserai plus tard, je sais pas lequel
choisir... »
Un " pas complice."
Tire-bouchons,
Laguioles, toiles cirées ringardes, dinosaures hargneux, chiens
en peluche
qui jappent et tirent la
langue quand on appuie sur
la poire.
Ballons gonflés
à l'hélium, qui vont se retrouver sur Mars, planter un drapeau et
dire : « Je suis le roi du monde ! ».
Chouchous, (en dentelle), chouchous, (à bouffer), pizzas pleines de chorizo et
paella avec des
crevettes qui se carapatent.
Deux
demi-tours, mes potes
maliens.
Sourire compris.
La on peut rester
trois plombes, tripoter, renifler les odeurs made-in-China. S'enquérir des couleurs de la nouvelle tendance.
Pas besoin de
dire : « Qu'on reviendra après, quand on aura un cadeau à
faire, merci... »
On
peut demander des nouvelles de la grand-mère, (même si on l'a jamais
vue), on peut parler des
enfants et de la banlieue
de Marseille, on peut
refaire la vie entre deux faux « Little Marcel » et un
collier à têtes de morts. « C'est la mode, c'est la mode, faut
jeter un coup d'oeil !!! ».
On
jette un œil et
la main, on
demande d'où ça vient.
Le
ciel se découvre, le
soleil rit.
Des " frères."
La
rue des légumes. Rouge
vif, rose tendre, violet onctueux, vert sauvage. Des natures mortes
étonnamment vivantes . Rembrandt en pâmoison. Arcimboldo
déguisé en maraîcher.
Je
fais la queue, ici c'est le
bazar, je pourrai toujours m'esquiver au dernier moment...
Un chihuahua,
coincé dans un panier, entre les poireaux et les melons, me fait les
yeux doux.
Normal, je sens
le chien.
J'avance une
main éminemment respectueuse.
La Mamie
propriétaire frétille d'avance.
« Il s'appelle comment ?
- Minette.. ».
( ???...!!!)
( ???...!!!)
Minette est
doux, Minette est sympa, Minette a des yeux d'agate trouble qui lui
sortent de la tête. J'ai l'impression qu'ils vont tomber. J'ai pas
envie de courir les ramasser alors je caresse plutôt vers l'arrière
train. Qui se détend tout content.
Merde, c'est mon
tour au marchand, j'attends pas le : « Madame, c'est quoi
que je vous sers ? »
Je me sauve.
Regard triste de Minette.
Je me retrouve
sur la place et ferme les yeux.
J'ai
l'impression de me promener dans un poème de Bukowski...
Je tarde à soulever les paupières.
Me fais
bousculer par un type pressé, sans cabas mais avec baskets Nike qui
flashent. Je fixe les pompes qui s'enfuient. Pas de « Pardon,
Madame », mais mieux : par terre, deux pièces de deux
euros. Je mets le pied dessus.
Je vais voir mon
pote malien, choisis un bracelet, lui tends mon trésor.
Il se marre et me dit : " C'est cadeau ! "
Il se marre et me dit : " C'est cadeau ! "
On s'y croirait. Ce n'est pas la première fois que j'ai cette sensation...
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