Cette joie de redescendre dans les
arbres éclairés d'orange. Le paysage a le chapeau de l'automne mais
les pieds de l'hiver, et je me laisse glisser dans la neige pour
descendre les sentiers encore saupoudrés d'aiguilles. Le printemps,
pourtant, sur ses clochettes violettes qui jaillissent chaque fois
qu'un bout de terre apparaît, est déjà ici, et ses chants
l'annoncent, comme une fanfare pianissimo dont on entendrait
vaguement le bruit avant de pouvoir la voir. Et il y a cette tiédeur,
cette tiédeur magnifique dont je n'ai jamais retrouvé ailleurs
l'harmonie, cette tiédeur qui s'accorde tout à fait à vos
sentiments, prêts à la sérénité, alors que vos jambes fatiguées
se laissent aller toutes seules sur les chemins. Elle est chargée,
je crois, dans la lumière qui enveloppe tout d'un halo ; car l'ombre
remonte déjà sur les pentes alors que le bas de la vallée est déjà
plongé dans la fraîcheur du soir. Nous nous apprêtons à rejoindre
ces pentes obscurcies. Les pierres qui tout le jour se sont gorgées
de chaleur rendent à la fin d'après-midi ce que le soleil leur a
offert ; l'air tremble au dessus d'elles et on voit apparaître dans
les rhododendrons encore verts, tout ratatinés, ces mirages qui ont
lieu dans les déserts ; ici, ils viennent en montagne ; quelle
particularité des févriers chauds, cette double présence de la
terre et de la neige, du soleil et du froid, de la tiédeur et des
cristaux ; les télésièges, en bas, sur les pistes, roulent encore
sur leurs câbles alors que les bas côtés dégorgent leurs mousses
d'hiver et que pointent à travers les arbres morts les prémices de
petits bourgeons ; quelle particularité de ces févriers-là, les
pentes qui partagent l'ombre et la lumière, tout au long du jour ;
les sources qui hésitent entre l'eau et la glace et dont l'esprit
fou donne de somptueuses sculptures, comme taillées par une main
divine. Les branchages d'un sapin pris dans un ruisseau se sont
recouverts de glace ; j'en frappe le sommet, le moulage de cristal se
détache et en hôte fidèle garde la forme de la matière qu'il a
invitée dans ses multiples doigts de givre ; la plante est ainsi
fossilisée ; les promeneurs hésitent, eux, entre les bas sentiers,
monotones, et la sauvagerie des hauts chemins qui pourraient vous
emporter dans le coulis d'une avalanche. Mais la neige est dure,
tassée, matelassée par le vent ; les congères ont formée à sa
peau tendre une couche protectrice qui sous le pied casse comme du
verre et s'enfonce en craquant. Et vient le soir, aux toutes
dernières lueurs, avant le chien et loup, le mauve, ses nuances, qui
crient le crépuscule.
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