« Les sanguiiers! Les
sanguiiers ! Maman, j'ai peur... Les sanguiiers... !»
Une heure du matin, un sentier qui
tortille dans la montagne, à peine assez large pour nos pieds, des
lampes de poche à bout de bras et le chien devant. Il est blanc, ça
aide, vu qu'il n'y a pas de lune.
« Lily... attends-nous ! »
Elle obtempère, un peu dégoûtée
mais bonne âme : il incombe au meilleur ami de l'homme de
veiller sur le troupeau.
« Maman, c'est quand qu'on
arrive ?
- On est à la pierre-qui-tourne,
attention aux branches, bientôt on verra le pré et on sera
sauvé... »
Les fourrés ont des hoquets suspects.
Déjà que de jour, c'est sauvage, alors, la nuit, c'est Voyage
au Centre de la Terre.
« Les sanguiiers...! Les
sanguiiers...!
- Y a pas de sangliers !... "
( Du moins, je l'espère, je prie très fort. Un soir de la semaine dernière, en allant pisser un peu à l'écart, j'en ai vu un qui me regardait avec des yeux ronds. Je lui ai braqué ma loupiote en pleine face. Il a grogné, pas content, un truc en « sanglier-ardéchois-du-nord ». J'ai pas répliqué, je parle pas couramment le « sanglier-ardéchois-du-nord ». Il a heureusement fait demi-tour, j'ai pu continuer mon pipi )
( Du moins, je l'espère, je prie très fort. Un soir de la semaine dernière, en allant pisser un peu à l'écart, j'en ai vu un qui me regardait avec des yeux ronds. Je lui ai braqué ma loupiote en pleine face. Il a grogné, pas content, un truc en « sanglier-ardéchois-du-nord ». J'ai pas répliqué, je parle pas couramment le « sanglier-ardéchois-du-nord ». Il a heureusement fait demi-tour, j'ai pu continuer mon pipi )
La trouille des porcs encornés, c'est
à cause des filles. Derrière la maison, en haut du pré, suspendus
entre les châtaigniers, y a deux hamacs.
J'ai trois enfants. Le petit frère a vite eu comme unique but dans la vie de squatter la plus belle nacelle, un château suspendu... C'était sans compter sur ses sœurs qui lui ont dit que LA, C'ETAIT DANDEREUX. Que c'était plein de bêtes méchantes, pleines de groins baveux et de défenses énormes... qui mangeaient les enfants. Depuis, elles ont les hamacs pour elles toutes seules. Depuis, mon rejeton a une peur viscérale et irraisonnée des sanguiiers.
J'ai trois enfants. Le petit frère a vite eu comme unique but dans la vie de squatter la plus belle nacelle, un château suspendu... C'était sans compter sur ses sœurs qui lui ont dit que LA, C'ETAIT DANDEREUX. Que c'était plein de bêtes méchantes, pleines de groins baveux et de défenses énormes... qui mangeaient les enfants. Depuis, elles ont les hamacs pour elles toutes seules. Depuis, mon rejeton a une peur viscérale et irraisonnée des sanguiiers.
Pourquoi on se retrouve à crapahuter
nuitamment comme des indiens froussards ? Parce que c'était
« la fête nocturne ».
« Maman, on peut aller à la fête
nocturne ?
- Dis, maman, on va la fête nocturne ?
- Maman, on sera sage, promis ! »
J'ai tenté, avec images à la clé, de
leur expliquer que « nocturne » voulait dire « de
nuit », que « de nuit » signifiait, littéralement,
« dans le noir absolu ». Rien à faire.
« Maman, on veut aller à la
ville... »
La Ville, c'est à dix kilomètres, c'est Montpezat sous Bauzon, pas très loin du
Mont Gerbier de Jonc, (on l'aperçoit quand on grimpe
dans le tilleul).
Pour y aller, faut se taper
trois bornes dans la forêt, traverser le torrent sur un antique pont
de pierres, remonter en face par un chemin dallé envahi de pruniers
sauvages et croiser les doigts pour que la voiture soit toujours
garée et entière sur son petit coin d'herbe : la route
s'arrête là.
Ça fait quinze jours qu'on
robinsonne joyeusement et librement dans ce trou perdu « qu'y
faut pas dire ».
La maison est une ancienne bergerie de
pierres sèches, large, basse, pansue, ventrue, plantée en majesté
sur d'anciens pâturages.
Avec le temps et comme y avait plus de
moutons, les juteuses pentes herbeuses ont été envahies par les
hêtres, les châtaigniers et les genêts. Puis recolonisées à la
force du poignet et de la tronçonneuse par Tonton Henri. Tonton est l'omnipotent et épisodique occupant des
lieux, propriétaire avant Dieu et les hommes. Tonton Henri a
quatre-vingt-trois ans.
La bâtisse possède une immense
terrasse avec un muret, pratique pour s'asseoir lire et une tonnelle
couverte de vigne. Les raisins ne sont pas encore mûrs mais ça fait
très joli et ça fait de l'ombre.
Quand on sort sur la gauche, on passe
un petit gué et il y a la source. En fait un genre de fontaine-abreuvoir alimentée par un captage, (près d'un
kilomètre de tuyau qui remonte dans la montagne : Tonton a fait
du bon boulot).
« Maman, tu donnes à manger aux
sangsues ? »
Dans le bac au pied de l'abreuvoir, y a trois superbes
limaces, noires, dodues et brillantes, que
les mômes veulent pas relâcher. Alors, pour pas qu'elles crèvent
de faim ( vous savez que les sangsues, c'est très recherché et que
c'est bon pour la santé...), je me les colle sur les bras tous les
jours. Même pas mal, je suis La Mère Nourricière Préhistorique.
« Maman, on peut prendre un
bain ?
- Encore ! Ça fait le troisième
de la journée...
- Mais oui, mais nous, on aime bien
prendre des bains...
- Vous allez être trop propres...
Allez, c'est bon, amenez les bassines ! »
L'endroit qu'y faut pas dire est en
fait un hôtel cinq étoiles : salles de bains avec vue,
baignoires jacuzzi en zinc, eau chaude à toutes les
terrasses.
Pour la agua caliente, il faut passer le gué, remplir les
bouilloires et les faire chauffer sur le feu
dans la cuisine. (En terre battue, la cuisine, c'est pratique si on
renverse). Y a bien sûr pas de cuisinière, mais deux grosses
pierres avec deux barres de fer en travers et une grande flambée de
châtaignier qui crépite nuit et jour. Quand je fais pas la Vestale,
je fais la porteuse d'eau.
« Maman... !
- Maman, on peut mettre les poupées
dans l'eau ?
- Maman, c'est pas juste, lui, c'est
plus chaud que moi...
- Maman, ça déborde !
- C'est pas grave, tant que vous mettez pas de savon..."
- C'est pas grave, tant que vous mettez pas de savon..."
Je déambule en marcel de Tonton et
slip kangourou attaché avec des bretelles : dans la
précipitation du Grand Départ, (bouffe, trousses de secours,
lampes de poche, aspivenin....etc), j'ai oublié Ma Valise avec Mes
Fringues sur le parking du HLM. Alors je fais avec les moyens du
bord : sous-vêtements XXL et chemises de bûcheron. Mes gamins
rigolent, y me réclament des strip-teases.
« Maman, y a une guêpe...
- Y a plein de guêpes en fait !
- Maman, viens voir, elles ont l'air pas contentes ! »
Veni, vidi... pas vici...
Ça bourdonne dur. Ça aurait-il un rapport, même lointain, avec le-panneau-solaire-qui-décidément-n'en-fait-qu'à- sa-tête-et-refuse-de-fonctionner ?
Ça bourdonne dur. Ça aurait-il un rapport, même lointain, avec le-panneau-solaire-qui-décidément-n'en-fait-qu'à- sa-tête-et-refuse-de-fonctionner ?
Je grimpe sur le toit : deux
piqûres, je soulève l'engin : trois piqûres. Je bats en
retraite, ça a un rapport.
« Maman, on fait quoi ?
- On sort de l'eau, on se met loin et
on va trouver une solution.
- Comment tu vas faire ?
- Je vais virer les bestioles, mais
avant, y faut que je me déguise...
- En quoi ?
- Vous allez voir ! »
Les bottes de pêche de Tonton, une
combinaison de ski ( y a de tout dans la vielle armoire), un anorak
taille cinquante-six et la cloche à fromage sur la
tronche, serrée dans la capuche. L'anneau de la-dite se balance
devant mon nez et me fait loucher, mais je suis parée. Je touille
dans l'essaim à grands coups de bâton, (pardon, Mesdames, c'est
aussi Notre Maison...), puis je récupère ma smala et direction Montpezat... Trois kilomètres, le
pont, la voiture, la pharmacie, la voiture, le pont, trois
kilomètres : j'ai le bras comme la cuisse d'un Sumo.
« Maman, pour fêter ça, on peut
faire des frites ? »
Fêter quoi ?
Au point où on en est, on peut.
Est-ce que vous avez déjà essayé, vous, de
faire des frites dans une cocotte remplie d'huile bouillante en
équilibre sur un feu de bois ?
Nous, si. Même que c'était super bon,
avec une salade de pissenlits cueillis dans la prairie et des
groseilles toutes fraîches : l'âge des chasseurs-cueilleurs.
Tout âge d'or a une fin, la faute à
Adam... Y a bien fallu qu'on descende un jour de notre montagne, la
fête des frites, c'était malheureusement la cérémonie des adieux.
On est passé en deux heures du Paléolithique aux premiers pas sur Mars, dans une bagnole qui
ressemblait à une soucoupe vu tout ce qu'on avait entassé dedans.
Welcome to Béton-City, ses lumières
et ses pots d'échappement... on pourra toujours faire une cabane sur
le balcon...
« Maman, dis, on retournera à
l'endroit qu'y faut pas dire ?
- On retournera, on retournera... »
( Si Maman arrive à garder comme copain le Neveu du Tonton proprio.)
( Si Maman arrive à garder comme copain le Neveu du Tonton proprio.)
L'immersion dans le Néon-lithique ne s'est
pas faite sans mal. Le seul vrai avantage, c'était que c'était plus
la peine de planter un opinel dans la tête de lit pour parer à
d'éventuelles attaques.
Mais on s'est adapté, les consoles ont
repoussé au bout des doigts, on s'est rhabillé et on a pris nos
bains dans une baignoire émaillée.
Je suis retournée à l'endroit qu'y
faut pas dire l'année d'après, avec le Copain Neveu. En février. Y
faisait moins-quinze et c'était couvert de neige, y compris quelques flocons dans les lits.
J'y ai attrapé, à cause du froid et
pour parler poliment, « des problèmes intestinaux ». Vu
qu'il n'y avait pas de toilettes (ça, je vous l'avais pas dit mais je
pense que vous aviez deviné), c'était beaucoup moins cool. Surtout
la nuit.
C'est si bien écrit que l'on se demande si l'on a lu ou si l'on a vu......
RépondreSupprimerMoi le sangulier je l'ai jamais vu. Furiosa si. Elle s'est arrêtée au milieu du chemin, et non on n'avancera pas, parce qu'il y a un sangulier ou quelque chose comme çà derrière le buisson. Quand c'est pas possible autrement il faut prendre les rênes à la main et à pied aller montrer que non, vraiment, rien derrière le buisson. C'était en forêt de la Grange, mon espace sauvage à moi. D'autres fois on a vu des gazelles, mais çà nous a pas fait peur. Des deux-pattes-jupe-courte. Mais Furiosa n'en avait pas peur, alors on a regardé de haut, et galop.
RépondreSupprimerC'est fou Naïs comme tu m'ouvres la boîte à souvenirs à nous faire vivre tes instants.
Mais faut pas dire l'endroit. Pour les gazelles non plus. P.
Décidément, on est toujours surpris de trouver une telle verve. Il n'y a qu'un réalisateur italien qui pourrait en tirer un film "vrai " tellement c'est naturel.
RépondreSupprimerJ'ai participé à la randonnée de nuit, j'ai fait chauffer de l'huile sur une flambée de bois qui a la particularité, je le crois, de " péter ". Je te vois monter à l'assaut d'un nid de guêpes ...Formidable